Olivier Père

La Dernière Maison sur la gauche de Wes Craven

La Dernière Maison sur la gauche (Last House on the Left, 1972) demeure l’un des films les plus dérangeants jamais réalisés. Wes Craven, issu comme son producteur Sean S. Cunningham (futur réalisateur de Vendredi 13) de l’industrie « underground » du cinéma porno, refusa longtemps d’en parler, honteux d’être allé trop loin à l’époque. Il s’agit d’un remake approximatif de La Source de Bergman, ce qui démontre que Craven n’avait pas perdu toutes ses lettres en sombrant dans la fange de Hollywood Boulevard. Dans un paysage bucolique, deux jeunes filles sont violées et assassinées par des voyous, qui subiront la vengeance d’une sauvagerie inouïe des parents des victimes, des bourgeois libéraux, devenus enragés par la perte de leurs enfants, mais aussi par l’impuissance ou l’indifférence de la police. Perçu comme une apologie nauséeuse de l’autodéfense, le film fut hâtivement taxé de crypto-fasciste, à l’instar de la série des Death Wish avec Charles Bronson. Malgré une complaisance évidente dans la violence graphique (horreur des viols des jeunes filles, castration buccale d’un des violeurs, dents éclatées au burin…), typique du cinéma d’exploitation, le film est plus complexe qu’il n’y paraît. Certains commentateurs furent assez perspicaces pour déceler dans La Dernière Maison sur la gauche un brûlot libertaire à l’instar des films de zombies de George A. Romero, qui fustige les valeurs morales de l’Amérique, en se livrant à une attaque frontale de la famille et de la propriété. La suite de l’œuvre de Craven, avec des films aussi politiques que La Colline a des yeux, L’Emprise des ténèbres ou Le Sous-Sol de la peur, allait leur donner raison. Le film de Craven s’inscrit dans une thématique très américaine de la vengeance, qui traverse beaucoup de westerns ou de films noir. Ce combo DVD/BR très riches en suppléments donne la place à des discours critiques beaucoup plus subtils et nuancés que tous ceux qu’on a pu lire ou entendre depuis la sortie du film, qui contextualisent le propos de Craven et en soulignent sa dimension contestataire. La Dernière Maison sur la gauche reste néanmoins réservé à un public très averti.

 

Avec I Spit on your grave (1979), La Dernières Maison sur la gauche est un titre fameux d’un sous-genre appelé « Rape and Revenge » : Cette édition BR/DVD proposée par ESC a la grande qualité de donner dans ses suppléments la parole à des femmes essayiste, historiennes ou écrivaines spécialisées dans la pornographie, l’érotisme ou le cinéma d’exploitation – Célia Sauvage, Clara Sebastian, et Violaine de Charnage, qui échangent sur ce sous-genre systématiquement défini comme misogyne et antiféministe, le « Rape and Revenge » et sur la représentation du viol au cinéma. C’est une femme, et une excellente cinéaste, Ida Lupino, qui a réalisé l’un des premiers films importants sur ce sujet : Outrage (1950). Certains films abordent le viol et ses conséquences de manière sérieuse et empathique : La Source de Bergman, L’Ange de la vengeance d’Abel Ferrara, Lipstick de Lamont Johnson… Les trois essayistes rappellent la dimension héroïque de ces femmes qui se vengent des hommes, en citant aussi de films plus « mainstream » comme Les Accusées ou Thelma et Louise. Au fil d’une réflexion sur la question du viol et de la justice américaine, dans la mouvance du mouvement féministe anti-viol, elles se demandent comment les femmes peuvent se réapproprier aujourd’hui le « Rape and Revenge », réappropriation amorcée par des films comme Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi ou Revenge de Coralie Fargeat. Les écrivaines évoquent aussi les thèmes de la justice expéditive et de la peine de mort au cœur de ce sous-genre, de l’inversion du « rape and revenge » masculin (Délivrance de John Boorman), et de la virilisation de la femme violée qui décide de se venger ou qui au contraire ne renonce pas sa féminité après un traumatisme. Ce débat se révèle passionnant, sans vouloir forcément apporter de réponses définitives.

Le coffret collector contient aussi un livret signé Marc Toullec de 52 pages, les versions alternatives du film, un making of, etc. Plus un disque de bonus autour de Wes Craven vu par des jeunes cinéastes à l’occasion de la rétrospective à la Cinémathèque française, un autre disque de bonus sur le film analysé par Jean-Baptiste Thoret, qui revient sur les origines prolétaires, puritaines et rigoristes de Craven, qui fera de la violence son thème de prédilection.

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9 commentaires

  1. Bertrand Marchal dit :

    Le dvd de La Proie de l’Autostop était accompagné d’un livret épais sur le thème du rape and revenge. L’auteur – dont j’ai oublié le nom, possible que ce soit Marc Toullec également (ce serait donc le même livret)- s’enthousiasme à peu près à égale mesure pour tous les films qu’il présentait par ordre chronologique. N’étant à priori pas fan, je suis resté très septique sur la valeur générale de ce genre. Mais par curiosité, j’aurais aimé voir I Spit on Your Grave… L’avez vous vu et qu’en pensez-vous?

    Le livret en question est très interessant pour son côté exhaustif. Il m’a rappelé l’existence du film la Traque de Serge Leroy, vu par hasard à la TV il y a 25 ans au moins et jamais revu depuis. Difficile à trouver aujourd’hui.

    • Olivier Père dit :

      Ces livrets en forme de catalogue qui recensent tous les films d’un sous-genre sans y ajouter la moindre forme d’analyse ne présentent guère d’intérêt, et peuvent même provoquer l’écoeurement quand il s’agit du « rape and revenge ». I Spit on your Grave n’a selon moi qu’une très faible valeur cinématographique, et relève du pur cinéma d’exploitation. En revanche, on peut considérer L’Ange de la vengeance d’Abel Ferrara comme un chef-d’oeuvre, avec un réel point de vue féministe et politique sur son sujet, et de grandes qualités de mise en scène. La Proie de l’Autostop est un film que j’aime bien mais il traite surtout de la misogynie et du couple, sous ses pires aspects.

  2. Snoopy18 dit :

    Je partage votre enthousiasme pour L’ANGE DE LA VENGEANCE. Ayant mis un peu de côté (temporairement) la filmographie de Ferrara, existe t-il une édition récente en dvd où blue ray?
    Par ailleurs, en 2009, Wes Craven a été le producteur du remake de son film LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE. Connaissez vous cette seconde mouture complètement déconnectée du contexte historique et social du film originel? Vaut-elle qu’on lève une paupière?

  3. Olivier Père dit :

    Oui L’Ange de la vengeance est sorti en DVD et BR il y a quelques années chez ESC (encore le même éditeur !)
    Non je n’ai pas vu le remake de La Dernière Maison sur la gauche, mais il possède ses défenseurs qui le trouvent très efficace

  4. Comet dit :

    Bonjour. Si je peux me permettre, il y a quelques très bons films de ce genre, dont certains directement inspirés du Wes Craven, comme La Maison au fond du parc, et le très malsain mais assez génial La Dernière maison sur la plage. Pour rester dans les films d’exploitation italiens il y a également La Bête tue de sang froid, avec l’excellente Macha Meril. Concernant le remake de 2009 de La Dernière maison…j’avoue l’avoir trouvé particulièrement insipide sans le caractère derangeant de son modèle.

    • Olivier Père dit :

      La Bête tue de sang-froid (L’ultimo treno della notte) est en effet un film excellent et on le doit à un cinéaste (Aldo Lado) qui a toujours su se démarquer de façon très personnelle des genres dans lesquels il travaillait (giallo, érotisme). Il est entendu que les producteurs de ce film voulaient profiter d’une tendance à la mode du cinéma d’exploitation, mais je ne suis pas certain que Aldo Lado ait vu le film de Craven.

  5. Olivier Père dit :

    J’ai vu La Maison au fond du parc de Deodato, et La Dernière Maison sur la plage de Francesco Prosperi qui sont des réussites dans le domaine du « cinéma trash italien », réalisés par des spécialistes !

  6. Bertrand Marchal dit :

    Le seul film du genre que je m’autorise à recommander à vous qui en connaissez déjà beaucoup, c’est Bedevilled, film coréen qui raconte le long avilissement d’une femme exposée à mille humiliations de la part de la famille pour laquelle elle travaille. Sa vengeance est radicale et d’une sauvagerie inouïe. Très bon film d’une noirceur implacable. Les amateur d’I Saw the Devil devraient apprécier.

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