La Coupe à dix francs (1974) est un film maudit, signé par un réalisateur lui-même maudit. Venu du cinéma industriel, Philippe Condroyer n’a signé que trois longs métrages très hétéroclites avant de se reconvertir à la télévision. Le film de Condroyer s’inspire d’une histoire vraie, survenue en 1970. Des jeunes ouvriers d’une menuiserie de province doivent se faire couper les cheveux sur l’ordre de leur patron s’ils ne veulent pas être licenciés. Certains, comme André, refusent d’obéir et essaient de se défendre en recourant à un syndicaliste. En vain… Esseulé et démuni, André dissimule ses problèmes à sa famille. Parallèlement, il vit une histoire sentimentale avec une fille de la région. Un jour, pourtant, le père d’André finit par connaître la situation et exige, à son tour, que son fils aille chez le coiffeur. André acquiesce. Gravement et intimement blessé, pourtant, il se réfugie dans le silence avant de commettre un acte d’une violence et d’un désespoir inouïs. La Coupe à dix francs est une oeuvre très forte, tragique et poignante, assez célibataire dans le cinéma des années 70 même si elle possède des points communs avec Maurice Pialat. Ce n’est pas un film cruel ou enragé mais au contraire plein de douceur malgré les conséquences dévastatrices de l’oppression sociale et patronale qu’elle met en scène. La grande exigence des cadres, entre Bresson et Pialat, de la direction d’acteur (c’est le meilleur rôle de Didier Sauvegrain, alors à ses débuts), des choix musicaux exceptionnels avec des créations originales de Anthony Braxton et Antoine Duhamel auraient dû faire de ce film un classique et imposer Condroyer comme un cinéaste important de sa génération. La Coupe à dix francs passa au contraire totalement inaperçu, après sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs et une sortie différée et ratée en salle. Quarante ans plus tard, en 2015, il bénéficia d’une restauration et d’une réédition enfin remarquée par la critique. Il n’est pas trop tard pour faire les louanges du film de Condroyer et saluer le courage de son sujet, qui s’attaque au paternalisme patronal, à l’étroitesse d’esprit d’une bourgade provinciale rétrograde mais brosse aussi le portrait d’une jeunesse désœuvrée et d’un garçon opaque, dont l’obstination prend une dimension existentielle, voire spirituelle.
Cette première édition en BR et en DVD lui donne une nouvelle chance. LCJ confirme son projet de réhabilitation ou de mise à disposition de films du patrimoine français devenus rares et mal diffusés. La qualité de l’image et du son est bonne, les suppléments éditoriaux très complets pour mieux contextualiser le film de Philippe Condroyer, par ailleurs auteur de l’étonnant Un homme à abattre (1967), thriller d’espionnage conceptuel et bresonnien avec Jean-Louis Trintignant qui annonçait avec dix ans d’avance certains polars paranoïaques américains et italiens.
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