Olivier Père

Eureka de Lisandro Alonso

Après une éclipse de neuf ans, Eureka marque le retour à la mise en scène de Lisandro Alonso. La fabrication du film fut émaillée de nombreux incidents : changement de producteur, remplacement de Timo Salminen, tombé malade, par Mauro Herce, interruption du tournage durant la crise sanitaire… L’ambition du film, le plus cher réalisé par Lisandro Alonso en raison de plusieurs lieux de tournage et l’usage d’effets spéciaux numériques, fut ainsi contrariée à maintes reprises par des difficultés supplémentaires d’ordre logistiques et économiques, ainsi que par des drames humains. Cela n’a pas altéré la beauté du résultat final, où le cinéaste déconstruit le western américain en explorant des pistes narratives profondement originales, qui excluent un récit centré au profit de systèmes rhizomiques, capables d’accueillir expériences et métamorphoses.

Eureka s’intéresse aux vestiges de la civilisation amérindienne, et s’interroge sur les conditions de survie des populations indiennes dans différents lieux et à diverses époques. C’est aussi un conte sur l’exploitation de l’homme par l’homme et sur une violence endémique qui se propage comme une maladie. Alonso montre comment l’humanité est capable d’organiser sa propre défaite, en même temps qu’un holocauste écologique. Eureka devient ainsi une réflexion sur notre rapport à la planète, à la nature et aussi à nos semblables. Le cinéaste laisse apparaître un profond pessimisme, par sa vision sans illusion d’un chaos suicidaire et d’une autodestruction programmée. Pourtant, le film s’appelle Eureka et ce titre laisse espérer que des solutions sont possibles, et restent à découvrir. Alonso pense que les êtres humains qui vivent en dehors du système sociétal moderne et entretiennent des liens magiques et étroits avec la nature ont des choses à nous apprendre. Dans son film, il invente un réseau de connexions entre le Nord et le Sud du contient américain, le passé et le présent, la fiction et le documentaire, le rêve et la réalité, la vie et la mort. Ce voyage dans le temps et l’espace est scindé en trois parties distinctes, avec des formats et des textures d’images différentes, qui expriment des imaginaires à la fois opposés et reliés entre eux par des indices, des traces. La première, un western en noir et blanc tourné à Almeria, avec Viggo Mortensen et Chiara Mastroianni, établit sans équivoque une passerelle entre Jauja et Eureka. La seconde, dans la réserve indienne de Pine Ridge du Dakota du Sud, suit la vie quotidienne d’une femme policier confrontée à la misère des derniers survivants de la tribu des Oglalas. Enfin, la troisième partie, située dans une jungle mystérieuse (le tournage s’est déroulé au Mexique), renvoie aux premiers films d’Alonso et développe une conception chamanique du monde mêlée au constat désastreux de l’histoire coloniale et de la fièvre de l’or.

Malgré la densité et l’importance des thèmes abordés (à commencer par la condition indigène et par extension la condition humaine), Eureka dépasse le cadre politique, sociétal et culturel pour atteindre à un pur plaisir esthétique et sensoriel. C’est bien de transcendance dont il faut parler pour définir ce film qui relève le défi d’explorer de nouvelles frontières cinématographiques, en mettant en question les notions de récit, de personnage, de temps et d’espace.

Sortie le mercredi 28 février, distribué par Le Pacte.

Catégories : Actualités · Coproductions

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