Olivier Père

Coffret Andrzej Żuławski

Ce coffret réunit les trois premiers films polonais de Andrzej Żuławski : La Troisième Partie de la nuit (1971), Le Diable (1972) et Sur le globe d’argent, dont le tournage débute en 1977, mais est interrompu par le ministère du cinéma et achevé seulement en 1988 après de longs déboires. L’éditeur Le Chat qui fume permet aux cinéphiles de revoir ou de découvrir en versions restaurées les œuvres de jeunesse d’un cinéaste démiurge et tourmenté. Ils pourront vérifier que le style excessif, le pessimisme et les visions infernales de Żuławski hantaient son cinéma de ses premiers essais. La Troisième Partie de la nuit, qui reste un de ses meilleurs films, témoigne d’une maîtrise impressionnante. Le film revient sur l’oppression nazie dans la Pologne occupée, avec des appels au fantastique mais aussi à la biographie familiale du jeune réalisateur. On y trouve déjà le motif du dédoublement féminin qui reviendra dans Possession. Le Diable se situe à la fin du XVIIIe siècle et narre l’odyssée criminelle d’un jeune officier dans une Pologne en décomposition. Le film, d’une extrême violence et d’une maestria aussi extrême, sera interdit par les autorités polonaises. Il est interprété, comme La Troisième Partie de la nuit, par la belle Małgorzata Braunek, alors mariée avec le réalisateur. Le succès français de L’Important c’est d’aimer lui accorde un bref retour en grâce en Pologne. Żuławski est invité à réaliser un film à gros budget et choisit Sur le globe d’argent, d’après un roman de SF écrit par son grand-oncle. Le ministre du cinéma interrompt le tournage et le film reste maudit à tout jamais, malgré une résurrection en 1988, où les fragments du film sont montés par le cinéaste, agrémentés de scènes additionnelles. Sur le globe d’argent se révèle au bout du compte un trip mystico-gore, quelque part entre Tarkovski et un film bis italien postapocalyptique. Le cinéaste place des caméras sur les combinaisons de ses cosmonautes, qui enregistrent l’action en vision subjective, ce qui a permis à son assistant français Nicolas Boukhrief d’affirmer qu’il avait inventé le sous-genre du « found footage », quelques années avant Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato.

Żuławski a toujours déchainé les passions, en France comme en Pologne. On ne peut cependant lui enlever ses talents de visionnaire, son ambition et sa maestria. Ses films sont à la fois magnifiques et épuisants pour le spectateur, entraîné dans un tourbillon de hurlements et de convulsions. Son style excessif, sa noirceur virent parfois à la gesticulation mais ses premiers films polonais recèlent des moments magiques de pure mise en scène et de poésie visuelle. C’est un cinéma de la transe, qui peut fasciner ou exaspérer mais qui ne laisse personne indifférent.

Le Chat qui fume nous a habitué à de très beaux coffrets, celui-ci ne déroge pas à la règle. Il faut saluer le choix éditorial de montrer enfin les premiers films polonais de Żuławski en HD, avec un matériel d’excellente qualité. Le Chat qui fume a procédé à un travail de restauration (réétalonnage et nettoyage) pour cette édition. Deux critiques reviennent sur les années polonaises du réalisateur. Mais surtout, le coffret propose un documentaire exceptionnel, Évasion sur le globe d’argent (2021) qui revient sur la production houleuse et l’interruption du tournage du film maudit de Żuławski, et qu’on est en droit de préférer au film lui-même – comme on peut préférer le making-of Burden of Dreams de Les Blank, tourné pendant la production chaotique de Fitzcarraldo, au film de Werner Herzog.

 

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