Olivier Père

Storia di vita e malavita de Carlo Lizzani

Des bidonvilles de la périphérie de Milan jusqu’aux beaux quartiers de la ville, six destins de jeunes adolescentes tombées dans l’enfer de la prostitution.

 

Milan est considéré comme le poumon commercial, financier et industriel de l’Italie. Durant le boom économique de l’après-guerre, une importante vague de migration interne, venue en particulier des zones rurales du sud de l’Italie, se déplace à Milan et a pour conséquence de faire augmenter la population de la ville. La prospérité économique de Milan et sa modernisation urbanistique accusent le choc de la première crise pétrolière et des « années de plomb » dans les années 70. Le chômage augmente, ainsi que la délinquance, tandis que les grèves et le terrorisme politique instaurent un climat de violence sans précédent dans les rues. Attentif aux mutations sociales de l’Italie du XXème siècle, Carlo Lizzani a fait de Milan le théâtre de plusieurs de ses films. En 1968, le cinéaste réalisait Bandits à Milan en s’inspirant de l’esthétique du reportage, pour montrer les méthodes employées par la nouvelle génération de gangsters qui sévissait dans la capitale lombarde. Dans la lignée des « films-dossiers » du cinéma politique italien des années 60, de Salvatore Giuliano à La Bataille d’Alger, Bandits à Milan ouvre aussi la voie à un filon populaire très vivace dans la décennie suivante, le « poliziottesco », situé entre le polar urbain américain et la survivance d’un néo-réalisme dégradé. Sept ans plus tard, Storie di vita et malavita adopte la forme du film-enquête et s’attaque à un autre phénomène des grandes métropoles occidentales, et de Milan en particulier : la prostitution. Storie di vita e malavita s’inspire d’une série d’articles de la journaliste Marisa Rusconi parue dans le magazine L’Espresso, consacrée au racket de la prostitution des mineures. Pendant plusieurs mois, Lizzani amasse sur le sujet une importante documentation. Deux autres journalistes, Massimo Fini et Claudio Lazzaro mettent leurs archives à la disposition du cinéaste. Plutôt que de proposer une trame linéaire, Lizzani et son scénariste Mino Giarda (également assistant-réalisateur) optent pour une structure fragmentaire très élaborée, dans laquelle s’entrecroisent six histoires, avec différentes voix narratives, sans que Storie di vita e malavita puisse être défini comme un film à sketches. Ce principe permet d’aborder différents aspects de la prostitution des mineures à Milan, avec deux principaux axes : d’un côté des jeunes provinciales venues du Sud de l’Italie, proies faciles de proxénètes qui abusent de leur innocence ; de l’autre, des adolescentes issues de la moyenne ou grande bourgeoisie qui se prostituent par désœuvrement et pour se révolter contre l’indifférence de leurs parents. Lizzani dépeint un tableau accablant de l’exploitation sexuelle de jeunes filles, que ce soit par une autorité parentale, des petits voyous ou des membres de réseaux pédophiles. Ce film permet de vérifier que le néoréalisme, bien après sa disparition, a continué à irriguer une immense partie du cinéma italien. Lizzani a depuis ses débuts revendiqué l’héritage de Rossellini et De Santis. Pour lui, le néoréalisme représente une révolution du langage cinématographique, qui dépasse le simple projet de rendre compte de la réalité. Ainsi la forme chorale et le refus de désigner une figure héroïque unique se retrouvent dans plusieurs films de Lizzani. C’est le cas de Storie di vita e malavita où chaque personnage, avec son statut de victime ou de bourreau, révèle une part de vérité. Storie di vita e malavita est une œuvre courageuse qui ose traiter frontalement un sujet scabreux et choquant. Lizzani filme un Milan brumeux et lugubre et signe une oeuvre à l’esthétique crue, sans concession. La forme circulaire de Storie di vita e malavita débouche sur un sentiment de désespoir et exprime un cauchemar sans fin, un drame sociétal sans solution. On pense alors à Salò ou les 120 journées de Sodome de Pasolini, réalisé la même année, qui lui aussi nous assénait une vision infernale de l’esclavagisme des corps, condamnés à la violence sexuelle et à la mort.

 

Storie di vita e malavita (racket della prostituzione minorile) (1975, inédit) sort en salle le mercredi 26 avril, distribué par Les Films du Camélia.

Texte extrait du document publié à l’occasion de la rétrospective Carlo Lizzani.

 

 

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