Olivier Père

La Chronique des pauvres amants de Carlo Lizzani

Florence, 1925. Dans une petite rue, Via Del Corno, la vie quotidienne et les amours d’une communauté d’ouvriers et d’artisans se trouvent bouleversées par la montée du fascisme et les actions violentes perpétrées par les Chemises noires.

 

C’est Luchino Visconti qui devait porter à l’écran le roman éponyme de Vasco Pratolini, publié en 1947. Visconti souhaitait mettre en chantier un film très coûteux, d’une durée de trois heures. Dans l’incapacité de trouver les financements, il décide d’abandonner le projet et d’en céder gratuitement le scénario qu’il avait écrit avec Sergio Amidei à la Coopérative de spectateurs et de producteurs de Gènes créée par Carlo Lizzani pour produire des films engagés grâce à un système de souscription. Les carrières respectives des deux cinéastes s’étaient déjà croisées puisque Lizzani, alors débutant, avait renoncé en 1947 à réaliser un documentaire de propagande commandité par le Front Populaire en vue des élections en Sicile, préférant rejoindre Rossellini à Berlin pour l’assister sur Allemagne année zéro. Le documentaire sicilien échoira à Visconti et donnera naissance à La terre tremble, une œuvre bien plus ambitieuse que la commande initiale. Lizzani s’empare de La Chronique des pauvres amants et procède à une réécriture pour rendre le film plus aisé à produire. Ce nouveau projet s’inscrit dans une démarche historienne initiée par Lizzani dès son premier long métrage Achtung ! Banditi ! consacré à la résistance. Le cinéaste imagine un vaste ensemble de films consacré aux périodes-clés de l’Italie du XXème siècle, à commencer par l’émergence du fascisme, la Seconde Guerre mondiale et l’immédiat après-guerre. La Chronique des pauvres amants revient ainsi sur les premières luttes antifascistes, après la marche sur Rome en 1922 et avant l’accession au pouvoir dictatorial par Mussolini en 1925. Par son ampleur et le soin apporté à la reconstitution historique, le film marque une étape importante dans la carrière de Lizzani. Le cinéaste s’affranchit partiellement de l’enseignement néoréaliste de ses maîtres Rossellini et De Santis et opte pour une approche ouvertement romanesque et psychologique. Lizzani met en scène un récit choral aux multiples personnages résidant dans une rue populaire de Florence. Le destin de chacun sera chamboulé par les menaces d’extorsion, les passages à tabac et les expéditions punitives ourdies par les fascistes qui conduiront à la mort de deux habitants du quartier, et à la dissolution du groupe d’amis. Pour incarner cette jeunesse florentine prise dans le tourbillon de l’Histoire, Lizzani parie sur de nouveaux visages du cinéma italien. Il offre à Marcello Mastroianni, jusqu’ici apprécié dans des comédies légères, son premier grand rôle dramatique, celui d’Ugo, un maraîcher antifasciste. Lizzani a l’idée de confier le rôle de Maciste, le robuste forgeron de la Via Del Corno, à l’athlète Adolfo Consolini, champion olympique de lancer de disque. Cela demeure son unique apparition à l’écran. Le sportif, dont la voix fut doublée, livre une interprétation convaincante. Dans la distribution, on retrouve aussi le futur cinéaste Giuliano Montaldo (Sacco et Vanzetti) qui interprétait déjà un résistant dans Achtung ! Banditi !, ainsi qu’Anna Maria Ferrero et Antonella Lualdi.

Présenté en compétition au Festival de Cannes en 1954, La Chronique des pauvres amants y obtient un prix ex-aequo et un beau succès critique mais déclenche la colère du gouvernement italien qui l’assimile à une œuvre communiste. Si le film sort normalement en Italie, il se voit interdit d’exploitation commerciale à l’étranger. Ce n’est que trois ans plus tard que le film pourra être distribué en France et dans quelques autres pays, dont l’Union Soviétique.

 

La Chronique des pauvres amants (Cronache di poveri amanti, 1954) ressort en salle mercredi 26 avril, distribué par Les Films du Camélia.

Texte extrait du document publié à l’occasion de la rétrospective Carlo Lizzani.

 

 

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