Olivier Père

La Chute de la maison Usher et Le Corbeau de Roger Corman

Sidonis propose en cette fin d’année un coffret DVD/blu-ray qui réunit les adaptations cinématographiques d’Edgar Allan Poe par Roger Corman : huit longs métrages dont il est intéressant de questionner la fidélité à l’écrivain, et qui constituent un ensemble fondateur du nouveau fantastique américain, au sein de l’œuvre du réalisateur-producteur à la prolificité et vélocité légendaires. La Chute de la maison Usher, La Chambre des tortures, L’Enterré vivant, L’Empire de la terreur, Le Corbeau, La Malédiction d’Arkham, Le Masque de la mort rouge, La Tombe de Ligeia ont été réalisés entre 1960 et 1964. La Malédiction d’Arkham se rattache artificiellement au cycle puisqu’il s’agit dans les faits d’une adaptation d’un livre de Lovecraft, parsemée d’allusions à Poe. Les deux derniers films ont été tourné en Grande-Bretagne, avec des motivations financières, les autres à Hollywood.

La Chute de la maison Usher (House of Usher), adaptation de la célèbre nouvelle de Poe, ouvre le cycle. Le film doit beaucoup au scénariste Richard Matheson et au directeur artistique Daniel Haller, et marque un tournant dans la carrière de Roger Corman. Alors que les nombreux films à petit budget tournés par le cinéaste depuis 1955 avaient du mal à dissimuler leur pauvreté, leur manque d’ambition et la rapidité de leur exécution, La Chute de la maison Usher, malgré son décor unique et pas plus de quatre comédiens, parvient à créer l’illusion du luxe et de l’opulence grâce à une utilisation spectaculaire du CinémaScope et des décors de studio. Les couleurs criardes et les fumigènes sont utilisés de façon symbolique par Corman qui simplifie l’œuvre de Poe mais réalise un film fantastique neuf et original. Le réalisateur trouve en Vincent Price, qui allait bientôt passer du statut d’acteur de second plan dans des films prestigieux à celui de star de l’épouvante, l’interprète idéal de Roderick Usher, qu’il joue à sa manière, exagérée et flamboyante. Les principes narratifs, esthétiques et économiques établis dans ce premier Poe-film vont être reproduits dans les suivants, à quelques variantes près. Autour d’un Vincent Price et de décors quasiment immuables, Corman adapte d’autres nouvelles de l’auteur des Histoires extraordinaires. Pour éviter d’être trop prisonnier d’une formule, il décide d’insuffler de l’humour dans certains écrits de Poe, tel ce poème, entré au panthéon de la littérature américaine. Le Corbeau (The Raven), à défaut d’être le meilleur film de la série, sera l’un des plus rentables, et introduira le concept de fantastique parodique, destiné à faire des émules deux décennies plus tard. Dans l’Angleterre du XVe siècle, Bedlo (Peter Lorre) a été transformé en corbeau par le maître sorcier Scarabus (Boris Karloff). Et le Docteur Craven (Vincent Price) de lui redonner son apparence humaine… Les trois magiciens en quête de formules secrètes et de sortilèges vont tour à tour (de magie) s’associer, se trahir et se défier. Ouvertement orientée vers la comédie, cette cinquième adaptation d’Edgar Poe par Roger Corman assume les distances prises avec l’œuvre originale du grand écrivain américain, et se présente comme une vaste blague. Malin, Corman a compris qu’il était vain de continuer à vouloir faire peur avec l’attirail gothique, et que le burlesque et la dérision étaient les meilleures armes pour mettre le public des campus dans sa poche. De ce jeu de massacre, les acteurs, pourtant proches de la maison de retraite (surtout Karloff et Lorre, en fin de partie), sortent vainqueurs. Il n’est pas hasardeux de prétendre que les véritables auteurs d’un tel film ne sont pas Corman et son scénariste Richard Matheson (malgré leur projet parodique), et encore moins Poe, mais le génial trio de cabotins semi-grabataires qui s’en donne à cœur joie. Lorre et Karloff ne survivront pas longtemps à cette joyeuse entreprise de liquidation. L’impérial Vincent Price va au contraire traverser les années 70 et 80 pour quitter la scène après une ultime et émouvante rencontre avec le jeune Tim Burton, qui se présentait au début de sa carrière comme une sorte de néo-Corman nostalgique et surdoué.

 

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