ARTE.tv propose un cycle Carlos Saura avec quatre des meilleurs films du réalisateur espagnol, disponibles gratuitement du 1er mai au 31 décembre 2021 : La Chasse, Peppermint frappé, Anna et les Loups et Cria Cuervos.
La Chasse (La Caza) est la première œuvre maîtresse de Carlos Saura, qui recevra pour ce film l’ours d’argent au Festival de Berlin en 1966. Le jeune cinéaste aragonais y met en place plusieurs éléments visuels et dramatiques que l’on retrouvera tout au long de sa filmographie. Le film réunit, dans un huis-clos à ciel ouvert, sous un soleil de plomb, un groupe de bourgeois partis chasser le lapin dans une campagne désertique en Castille. Bientôt, les rancunes, les jalousies et les frustrations vont transformer ce moment de fraternité virile en situation explosive.
Cette partie de chasse qui dégénère en tuerie se présente comme une parabole de la guerre civile espagnole. Saura stigmatise la violence machiste de ces anciens combattants nationalistes, qui reviennent sur les lieux de leurs exploits guerriers. Disciple de Buñuel, Saura observe ses personnages à la manière d’un entomologiste. Il cultive un goût du détail insolite et cruel qui fait basculer La Chasse dans une forme de réalisme onirique.
En 1968, le Festival de Cannes connait une édition perturbée par les événements de mai qui se déroulent à Paris. Le festival s’arrête de manière anticipée sous la pression de nombreux cinéastes contestataires français et étrangers, parmi lesquels Carlos Saura qui tente d’empêcher la projection de Peppermint frappé en s’accrochant au rideau de l’écran. Saura fut dans les années 60 et 70 le jeune homme en colère du cinéma espagnol, le poil à gratter du régime franquiste, mais aussi un conteur inspiré, sous influence freudienne. Dans Peppermint frappé, le directeur d’une clinique de radiologie, célibataire endurci, est obsédé par la jeune épouse de son meilleur ami, au point de transformer son assistante à l’image de la femme aimée. Portrait d’un maniaque érotomane qui basculera dans le meurtre, Peppermint frappé est dédié à Luis Buñuel, grand maître du fétichisme à l’écran. C’est aussi à Hitchcock que l’on pense devant cette transposition moderniste de Vertigo dans l’Espagne provinciale et rétrograde. Le film est également une déclaration d’amour à Geraldine Chaplin, égérie et compagne de Saura qui déploie ses talents d’actrice dans les plus grandes réussites du cinéaste et se révèle ici particulièrement fascinante dans un double rôle. Peppermint frappé sera finalement présenté au Festival de Berlin (qui se déroulait à l’époque en juin) où il obtiendra l’Ours d’argent du meilleur réalisateur.
Anna et les Loups (Anna y los lobos, 1972), chef-d’œuvre du cinéma espagnol, est un film à redécouvrir d’urgence. Une jeune gouvernante étrangère, interprétée par Geraldine Chaplin, débarque dans une vaste demeure isolée dans la campagne aride de Castille. Elle est confrontée à d’étranges figures de l’autorité masculine en la personne de trois frères, qui représentent l’Église catholique, l’Armée et la phallocratie, au sein d’une famille névrosée. Anna et les Loups est l’un de seuls films ouvertement allégoriques de Carlos Saura, où chaque personnage est chargé d’une valeur de symbole. Cette comédie très noire en forme de conte s’attaque au franquisme et à ses dévoués vassaux, ainsi qu’à la cellule familiale ultra-conservatrice. Sous le masque grotesque de la farce et de la folie surgit la violence la plus brutale. Cette réussite majeure de Saura se révèle alors un grand film d’horreur politique, avec une conclusion à vous glacer le sang.
Ces trois films, ainsi que six autres tout aussi recommandables, ont été réunis dans un coffret DVD par l’éditeur Tamasa sous le litre « Carlos Saura, les années rebelles » avec un livret qui reprend l’essai de Marcel Oms sur le cinéaste initialement publié chez Edilig dans les années 80. Quant à Cria Cuervos, il est disponible en DVD et blu-ray, édité par Carlotta.
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