Olivier Père

Fièvre sur Anathan de Josef von Sternberg

ARTE diffuse Fièvre sur Anathan (The Saga of Anatahan, 1953) de Josef von Sternberg en version restaurée mercredi 20 janvier à minuit. Le film sera également disponible en télévision de rattrapage sur ARTE.tv jusqu’au 19 avril 2021.

Testament artistique de Sternberg, Fièvre sur Anathan est aussi étrange que sublime. Entièrement réalisé au Japon, avec des comédiens japonais, le film est produit loin des studios hollywoodiens, entièrement pensé et conçu par Sternberg qui bénéficie d’une totale liberté et peut exercer à sa guise ses talents de démiurge. C’est un retour à l’indépendance telle que le cinéaste l’avait connue avec The Salvation Hunters, son premier film en 1925. Tout est inhabituel et surprenant dans Fièvre sur Anathan et pourtant le film n’a rien d’une anomalie dans l’œuvre du cinéaste. Il vient clore au contraire dans une parfaite cohérence le travail d’un artiste soucieux de la création d’un univers fait d’artifices et d’illusions, qui ne l’empêche pas d’ausculter la vérité et la cruauté des passions humaines. Fasciné par le Japon depuis un voyage dans les années 30, Sternberg s’inspire d’une histoire authentique racontée par l’un des survivants. En juin 1944, un groupe de soldats échoue sur une île du Pacifique, uniquement habitée par un homme et une jeune femme. Très vite, la femme d’une beauté extraordinaire excite la jalousie et la convoitise de cette communauté masculine qui entend maintenir la hiérarchie militaire dans un lieu paradisiaque bientôt gangrené par la violence. Tandis que « la reine des abeilles » passe d’un homme à l’autre, les soldats refusent d’admettre la nouvelle de la défaite japonaise, croyant à de la propagande ennemie, et préfèrent rester sur l’île pendant plusieurs années, en guetteurs inutiles. Sur son thème de prédilection, la femme fatale, Sternberg a réussi une œuvre cinématographique qui emprunte autant à la poésie qu’au chant ou à la danse. Le cinéaste est le narrateur de son histoire – dans une voix-off en anglais – tandis que les interprètes, qui parlent dans leur langue, ne sont pas traduits. Les expressions de leurs visages et leur jeu corporels suffisent à nous faire comprendre les enjeux dramatiques, construits autour du désir et de la peur, mais Sternberg les accompagne ou les annonce par des commentaires en forme de moralité allégorique. Il a entièrement reconstitué la jungle dans des décors qui installent un sentiment d’enfermement. Seuls les plans de mer et des images d’archives sur la fin de la guerre font sortir le spectateur du monde érotique et tragique patiemment élaboré par Sternberg. Renié par les Japonais, puis ignoré par les Américains lors de sa sortie, Fièvre sur Anathan demeure un film fascinant où s’exprime, une ultime fois, la vision du cinéma d’un homme libre.

 

Fièvre sur Anathan a été édité en combo DVD / blu-ray par Lobster.

 

 

Catégories : Sur ARTE

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *