Olivier Père

Coffret Hammer tome 2

De manière peu conventionnelle, le tome 2 de la collection des films Hammer réunis par l’éditeur Tamasa sort avant le premier. Avec comme sous-titre « Sex and Blood » pour souligner l’outrance qui caractérise la phase terminale de la célèbre société de production.

Cela nous permet de revoir, avant des titres plus admirés, sept longs métrages réalisés entre 1970 et 1976 qui entérinent le déclin artistique et commercial de la firme britannique spécialisé dans l’horreur et l’épouvante. Pourtant, ces films sont loin d’être (tous) des ratages, et doivent être aujourd’hui réévalués – certains le sont déjà – par les amoureux du fantastique anglais. Délirants et transgressifs à leur manière, ils eurent surtout le malheur de sortir trop tard, à une époque où le genre initiait une rapide métamorphose, évacuant le folklore traditionnel gothique au profit d’une approche beaucoup plus moderne – et effrayante. Deux films, Rosemary’s Baby (1968) de Roman Polanski et L’Exorciste (1973) de William Friedkin sont les œuvres majeures de cette transformation, dont l’origine remonte sans doute à Psychose (1960) d’Alfred Hitchcock. La Hammer Films va tenter de résister à cette éclosion d’un fantastique moderne et insufflant davantage de sexe, de violence et surtout d’ironie à ses productions. Cela ne suffira pas à leur garantir le succès. Mais les amateurs de formes dégradées devraient se réjouir devant ce feu d’artifices final, où l’érotisme et le sang font bon ménage, dans des films chargés d’audace et de folie. Visite guidée de cette petite boutique des horreurs, avec en compléments des making-of, des chouettes cartes postales qui reproduisent les affiches des films, un livret et surtout les commentaires et analyses de Nicolas Stanzyk, spécialiste de la Hammer, et Bruno Terrier de la librairie Metaluna.

 

Les Cicatrices de Dracula

Les Cicatrices de Dracula (Scars of Dracula, 1970) de Roy Ward Baker participe au début de la décadence de la Hammer. Le film multiplie les épisodes violents et grivois, dans un climat malsain caractérisé ici par des tendances sadomasochistes et homosexuelles plutôt hétérodoxes – le vampire fouette et inflige des sévices à son serviteur, hideux et soumis. Roy Ward Baker, cinéaste talentueux qui avait connu une première partie de carrière intéressante entre les États-Unis et l’Angleterre avant de rejoindre la Hammer, va paradoxalement signer quelques-uns des films les plus déviants de la firme dans les années 70. Chauve-souris en plastique, maquette de château et peintures sur verre confèrent aux Cicatrices de Dracula, au-delà de ses images sanguinolentes, une poésie surannée.

Les Horreurs de Frankenstein

Le scénariste Jimmy Sangster participa à l’âge d’or de la Hammer en écrivant les premiers chefs-d’œuvre de Terence Fisher consacrés à Dracula et Frankenstein. Pilier historique de la firme, il a aussi réalisé trois films. Le premier, Les Horreurs de Frankenstein (The Horrors of Frankenstein, 1970) est un nouvel épisode des aventures du baron truffé de blagues de carabin et de détails scabreux. Le film assume son caractère irrévérencieux, son mauvais goût, son humour noir. On a parfois l’impression de découvrir un précurseur de Frankenstein Junior de Mel Brooks et Chair pour Frankenstein de Paul Morrissey réunis, c’est dire ! Le jeune Ralph Bates succède à Peter Cushing dans le rôle du baron et donne à son interprétation un cynisme et une insolence en totale symbiose avec l’entreprise démystificatrice de Sangster. Dommage que les efforts de Sangster cinéaste ne furent pas récompensés par le succès critique et public. Dans le rôle du monstre de Frankenstein, on retrouve David Prowse, culturiste devenu acteur et décédé en novembre 2020. Il incarnera une nouvelle fois la créature, sous une apparence totalement différente, dans le chef-d’œuvre testamentaire de Terence Fisher Frankenstein et le monstre de l’enfer en 1974.

 

Dr. Jekyll et Sister Hyde

Docteur Jekyll et Sister Hyde (1971), le meilleur film fantastique de Roy Ward Baker, est une adaptation iconoclaste de la nouvelle de Stevenson. Cette fois-ci le célèbre docteur, à la recherche de l’élixir de vie, commet une série de meurtres comme Jack l’éventreur et croise sur son chemin les récupérateurs de cadavres Burke et Hare. L’hybridité est à son comble puisque le savant fou ne se transforme plus en monstre mais en superbe jeune femme. Le film devient alors une étonnante et très moderne variation « transgenre » sur le désir d’être un(e) autre. La nouvelle identité sexuelle du docteur lui permet de jouir d’un corps tout neuf et de tester son pouvoir de séduction auprès des hommes. L’acteur Ralph Bates souhaitait se travestir pour jouer Sister Hyde, mais les producteurs eurent la bonne idée de freiner ses élans transformistes en confiant le rôle à Martine Beswick, ex-miss Jamaïque. Sa beauté atypique, à la fois androgyne et incroyablement sensuelle, achève de rendre le film inoubliable. Bien sûr il y a de la nudité féminine, de l’hémoglobine mais aussi de l’humour à répétition – Jekyll ne peut rien entreprendre sans être constamment interrompu ou dérangé par ses voisins, une oie blanche amoureuse de lui et son frère attiré par Sister Hyde ! Une fois de plus, Baker aborde de manière très originale le thème de l’homosexualité. C’est le parfait exemple de l’approche décadente du fantastique produite par la Hammer. L’année suivante, Baker fera des infidélités à la célèbre firme en travaillant pour son concurrent direct Amicus, spécialisé dans le film à sketches horrifique (Asylum, Le Caveau de la terreur).

Les Démons de l’esprit et Sueur froide dans la nuit

Les Démons de l’esprit (Demons of the Mind, 1972) de Peter Sykes et Sueur froide dans la nuit (Fear in the Night, 1972) de Jimmy Sangster sont peut-être les deux films les moins excitants du coffret. Leur esthétisme blême et leur rythme languissant trahissent une Hammer moribonde, malhabile dans ses tentatives de renouvellement. Les Démons de l’esprit ou la psychanalyse selon la Hammer. Il y est question d’inceste, de folie et de malédiction familiale. Le film vaut surtout pour la blondeur juvénile de Gillian Hills, starlette et chanteuse yéyé qui tient ici un rôle plus important que de coutume, après des apparitions dénudées dans Blow Up et Orange mécanique. La beauté des actrices des films Hammer mériterait une encyclopédie illustrée. Sueur froide dans la nuit marque le chant du cygne des « mini-hitchcock » de la Hammer, ces thrillers largement inspirés par Psychose et Les Diaboliques, équivalents anglo-saxons des « gialli » italiens. C’est une histoire de machination et de trahison conjugale dont on se fiche un peu, avec le procédé habituel de la victime que l’on tente de faire passer pour folle. Réalisé par un scénariste, l’intérêt du film réside pourtant dans certaines idées de mise en scène. Sangster parvient à créer de l’angoisse à partir de rien ou presque : des lieux vides, des sons et des voix qui surgissent du néant…

La Momie sanglante

La Momie sanglante (Blood from the Mummy’s Tomb, 1971) a la réputation d’un film maudit, endeuillé par la mort de son réalisateur, Seth Holt, après cinq semaines de tournage. Le film sera terminé par son producteur Michael Carreras. Cela explique peut-être certaines béances au cœur de ce récit de malédiction égyptienne qui vient frapper un groupe d’archéologues, mais cela lui confère aussi une forme de poésie dadaïste. Vaguement adaptée d’une nouvelle de Bram Stoker, cette série B onirique au scénario tarabiscoté possède un charme idiot, et se montre guère avare en surprises et rebondissements. La sculpturale Valerie Leon dans un double rôle demeure la principale attraction de cette sympathique aberration, toute en carton-pâte et verroterie.

Une fille… pour le diable

Une fille… pour le diable (To the Devil a Daughter, 1976) de Peter Sykes est le dernier film fantastique produit par la Hammer. Tourné en décors naturels, situé à l’époque moderne, Une fille… pour le diable entend faire le lien entre Les Vierges de Satan (les deux films sont adaptés de romans de Dennis Wheatley) et la mode récente des blockbusters horrifiques comme L’Exorciste et La Malédiction. Faute de moyens, de scénario cohérent et d’implication des comédiens (Richard Widmark, en remplacement de Klaus Kinski, n’a pas l’air content d’être là), le film peine à convaincre mais attise notre curiosité. On peut y admirer la débutante Nastassja Kinski en nonne d’une secte satanique, et supporter une scène d’orgie mollassonne où se compromet Christopher Lee. L’apparition d’un bébé diabolique offre un spectacle peu ragoûtant. Une fille… pour le diable est une coproduction anglo-germanique. Cela explique la présence de Nastassja Kinski et rappelle les infortunes de la Hammer en crise au milieu des années 70. La firme avait perdu ses soutiens auprès des studios américains et cherchait d’autres partenaires financiers, en Europe et même en Chine.

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