Olivier Père

Le Récif de corail de Maurice Gleize

Ce film a longtemps été considéré comme perdu. Sa redécouverte tardive est providentielle. A l’époque de sa sortie, il avait été dédaigné avec une sévérité injuste par la critique et le public. Il faut dire que le long métrage de Maurice Gleize, distribué en 1939, se trouvait coincé entre plusieurs chefs-d’œuvre tournés par Gabin durant la même période : Gueule d’amour, Le Quai des brumes, La Bête humaine, Le jour se lève, Remorques… Quant à Charles Spaak, scénariste et dialoguiste du Récif de corail, il venait d’écrire pour l’acteur La Belle Equipe, Les Bas-fonds, La Grande Illusion et Gueule d’amour. Si cette proximité peut sembler écrasante, elle ne doit pas occulter les qualités de cet excellent film d’aventures, dans lequel Gabin retrouve son personnage d’anti-héros romantique et prolétaire, meurtrier poursuivi par la police, obligé de fuir à bord d’un cargo en partance pour le Mexique pour échapper à un funeste destin. L’une des particularités du film tient dans sa localisation exotique : l’action se déroule en Australie et sur l’Océan Pacifique, les noms de personnages sont anglicisés sans que les auteurs ne prennent la peine de dissimuler les caractères et les accents bien français de Jean Gabin, Michèle Morgan, Pierre Renoir, Julien Carette ou Saturnin Fabre, inattendu en ermite britannique ! Qu’importent ces libertés et artifices, qui renforcent l’atmosphère étrange et poétique du film. Sans disposer de moyens colossaux, Le Récif de corail s’inscrit dans une tendance post-expressionniste, où les décors de studio plongés dans la brume, les jeux d’ombre et de lumière installent une ambiance onirique typique du grand cinéma français de l’avant-guerre. L’escale sur les îles du Pacifique, promesse d’une vie paradisiaque, donne son titre au film et l’éclaire brièvement d’une lueur d’espoir. Le personnage de Gabin, d’abord accablé par la malchance et les coups du sort, trouve le salut et la rédemption grâce à l’amour d’une jeune recluse qui l’accueille dans sa retraite forestière. Le film marque les retrouvailles entre Gabin, dont c’est l’âge d’or, et Morgan, juste après Le Quai des brumes et avant Remorques. Pierre Renoir campe magnifiquement un policier obstiné et solitaire digne de Javert. La conclusion du Récif de corail tranche avec le pessimiste de rigueur des productions de l’époque. C’est peut-être aussi ce qui a dérouté les admirateurs de Gabin, habitués à des fins tragiques.

Le Récif de corail, restauré par Lobster, est disponible gratuitement sur ARTE.tv du 1er janvier au 30 juin 2021.

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