Olivier Père

Opera de Dario Argento

Dans le cadre d’une programmation spéciale consacrée au cinéma fantastique, à l’approche d’Halloween, ARTE diffuse Opera (1987) de Dario Argento, présenté dans sa version originale et intégrale, jeudi 29 octobre à 23h45. Le film sera également disponible gratuitement en télévision de rattrapage sur ARTE.tv jusqu’au 26 avril 2021.

Opera conclut avec maestria une sorte de trilogie blanche et noire débutée avec Tenèbres et Phenomena, dans laquelle les flamboyances baroques et les délires chromatiques de Suspiria et Inferno cédaient la place à une violence expressionniste froide et désespérée. Vu et revu en salles et sur tous les supports imaginables, Opera mérite in fine une réhabilitation (presque) totale. Plus que jamais destiné au grand écran (sa mise en scène en cinémascope est ultra spectaculaire), le film ne bénéficia en France que d’une sortie en vidéo dans une version recadrée et sévèrement tronquée, avec un nouveau titre idiot « Terreur à l’opéra ». Opera devra attendre plusieurs années pour se relever de cet infamie, tardivement distribué en salles en France (par Les Films du Camélia) et en Blu-ray (par Le Chat qui fume). Opera est de toute évidence l’un des films les plus personnels, et donc douloureux, de Dario Argento. L’histoire se déroule dans les coulisses des représentations du Macbeth de Verdi, opéra qui a la réputation de porter malheur, mis en scène par un réalisateur de films fantastiques, dont le passage des plateaux de cinéma à la scène lyrique déclenche les sarcasmes de la critique. Cette situation fait allusion à l’expérience humiliante d’Argento, auquel on retira la direction d’un Rigoletto en 1985. Les audacieuses idées scénographiques du cinéaste avaient scandalisé ses commanditaires. Opera a pour héroïne Betty, une cantatrice débutante persécutée par un tueur en série. Le maniaque torture et assassine ses victimes devant la jeune femme, ligotée et les yeux cernés par des aiguilles qui l’obligent à regarder le terrifiant spectacle. Argento aborde ainsi frontalement le voyeurisme et le sadomasochisme, sous-jacents dans tous ses films. Opera associe étroitement le sexe et la mort. Betty est une jeune femme frigide dont la solitude émotionnelle est troublée par les agressions du tueur masquée, filmées comme des viols. Comme dans d’autres films d’Argento l’énigme au cœur d’Opera renvoie à un trauma enfantin, progressivement dévoilé lors de flash-backs en forme de cauchemars. L’image de la mauvaise mère traverse le film, avec le dédoublement d’un personnage de fillette délaissée, Betty enfant dans ses souvenirs et une petite voisine qui lui vient en aide dans un moment angoissant. Opera est un film sans amour, cruel et morbide, qui instaure des relations viciées entre chaque personnage. La virtuosité de la mise en scène d’Argento est moins jouissive qu’à l’accoutumée, les déchainements de violence s’avèrent plus dérangeants que libérateurs. Malgré – ou à cause de – cela, Opera impressionne. Le film regorge d’idées de mise en scène, les mouvements de caméra sont extraordinaires et la photographie de Ronnie Taylor très inspirée. La gestion de l’espace, le décor labyrinthique de l’appartement ou l’immense atelier de l’opéra créent une atmosphère oppressante autour de Betty. La colonne sonore est une fois de plus obsédante avec des contributions de Bill Wyman, Roger et Brian Eno et Claudio Simonetti qui participent à l’ambiance lourde et sombre du film. Opera aurait pu prétendre au statut de chef-d’œuvre avec une distribution plus convaincante. La direction d’acteur et les dialogues des films d’Argento ont souvent laissé les spectateurs perplexes, peu habitués à des partis-pris de jeu totalement outrés ou irréalistes. Ici, Argento souffre visiblement d’un manque d’empathie avec ses acteurs, sans doute des deuxièmes, ou troisièmes choix… Ian Charleson semble peu concerné – malade du sida, ce sera sa dernière apparition au cinéma avant sa disparition prématurée – et Cristina Marsillach échoue à renouer avec le charme poétique et enfantin de Jessica Harper ou Jennifer Connelly. Urbano Barberini, bellâtre de série Z, est une erreur de casting assez catastrophique. Argento avait d’abord pensé à Sergio Castellito ou Nanni Moretti (!) dans le rôle de l’inspecteur de police. Trop jeune, acteur exécrable, Barberini contribue à rendre la conclusion du film guère convaincante, point faible d’Opera qui explique en partie sa mauvaise réception en 1987. La dernière scène du film, seul et bref moment d’apaisement où l’héroïne, enfin libérée de ses démons, entre en communion avec le monde végétal et animal – après la participation active de gros corbeaux tout au long du récit – fut coupée lors de l’exploitation vidéo, sans doute trop déconcertante. Opera se termine donc par une jeune femme qui se roule dans l’herbe et parle à un lézard…

Si Opera dégage une telle tristesse, c’est aussi parce qu’il constitue un véritable chant du cycle du grand cinéma italien, à la fois savant et populaire, capable de concilier émotions fortes et visions artistiques extrêmement sophistiquées. Ce sont des funérailles majestueuses, peut-être inconscientes malgré la décadence dans laquelle le cinéma italien sombrait corps et âme à l’époque. Pour la dernière fois Argento exhibe une virtuosité qui n’est pas seulement la sienne, qui repose sur le savoir-faire de nombreux corps de métiers, techniciens, artificiers et décorateurs de l’industrie cinématographie italienne. Opera est un ultime tour de piste, une démonstration parfois grotesque – la caméra qui voltige et tourne sur elle-même au-dessus des spectateurs de l’opéra pendant la représentation de Macbeth – du génie artisanal du cinéma italien, qui permit à Argento de donner libre cours pendant vingt ans à son inspiration baroque et tourmentée.

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