Olivier Père

Les Révoltés de l’an 2000 de Narciso Ibáñez Serrador

Pour les Espagnols, Narciso Ibáñez Serrador demeure avant tout une figure extrêmement populaire de la télévision publique. Entre les années 60 et 2000, il y a réalisé une quantité innombrable de programmes, séries, téléfilms ou émissions. Il était même devenu une présence familière en présentant lui-même, à la manière d’Alfred Hitchcock, une collection de films d’épouvante produite pour le petit écran, « Películas para no dormir ».

Hors des frontières ibériques, Serrador est essentiellement célèbre, auprès des cinéphiles, pour avoir réalisé deux films fantastiques, qui demeurent ses seuls longs métrages de cinéma : La Résidence (1971), un huis-clos gothique et morbide dans un pensionnat de jeunes filles et Les Révoltés de l’an 2000 (¿Quién puede matar a un niño?, 1976). Si La Résidence s’inscrit dans une certaine tradition de l’épouvante européenne, sous l’influence des films de Terence Fisher, Mario Bava ou Riccardo Freda, Les Révoltés de l’an 2000 emprunte un chemin bien plus solitaire, et se révèle une entreprise unique et sans lendemain. Cette étonnante parabole sur la violence du monde moderne permet d’entrevoir la singularité d’un fantastique solaire, et d’une approche typiquement méditerranéenne de la mise en scène de la peur et de l’angoisse. Le long générique introductif se dévoile lentement, entrecoupé d’extraits d’archives et d’actualités qui témoignent des horreurs du XXème siècle, commises par les hommes contre les hommes (camps d’extermination nazis, guerre du Vietnam, génocides et famines en Inde ou en Afrique). L’accent est mis sur la souffrance des enfants, victimes comme les autres de la folie homicide et des crimes de masse. L’effroi que provoquent ces images documentaires ne peut que rendre dérisoire le danger associé aux créatures surnaturelles ou aux psychopathes, personnages récurrents des films d’épouvante. C’est donc le parti-pris de la banalité qu’adopte Serrador. Son film débute dans le cadre touristique d’une station balnéaire en pleine période estivale, puis s’installe sur une île en apparence idyllique. La révolte d’enfants assassins, réunis en une meute silencieuse, apparait comme une allégorie très lisible de la réappropriation de la violence par une humanité innocente et régulièrement sacrifiée. Serrador instaure avec talent une atmosphère de plus en plus inquiétante, en filmant des espaces quotidiens désertés, et en adoptant le point de vue d’un couple de vacanciers anglais. La grossesse de la femme amplifie le sentiment de danger, tandis que s’installe progressivement un climat de terreur sans retour. L’influence principale des Révoltés de l’an 2000 demeure La Nuit des morts vivants de George A. Romero, réalisé en 1968 et véritable manifeste, esthétique et politique, de l’horreur moderne. Serrador remplace les zombies anonymes et pathétiques de Romero par des enfants mus par une pulsion destructrice et la haine des adultes. Les personnages de son film sont confrontés à une situation inédite : comment se défendre contre des assaillants qui possèdent les traits angéliques de garçons et filles âgés d’une dizaine d’années ? Ainsi, le cinéaste espagnol transgresse deux tabous : l’enfance criminelle et le meurtre d’un enfant. L’autre particularité du film de Serrador est de se dérouler entièrement sous un soleil de plomb. Les Révoltés de l’an 2000 invente une terreur blanche et plate, sans zone d’ombre ni distorsion visuelle, en totale opposition avec l’héritage expressionniste du cinéma fantastique. L’objectivité des faits mis en scène, leur implacable crudité ne font qu’exacerber le constat d’apocalypse du film, qui ne se contente pas d’accumuler les images choquantes, et réussit à exprimer un scandale ontologique.

Les Révoltés de l’an 2000 vient d’être réédité, en salles et en Blu-ray, par Carlotta Films.

 

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