Olivier Père

Le Temps du châtiment de John Frankenheimer

Le Temps du châtiment (The Young Savages) n’est que le deuxième long métrage de John Frankenheimer réalisé pour le cinéma. Pourtant, au début des années 60, Frankenheimer est déjà un metteur en scène et un technicien très expérimenté, qui a dirigé plus d’une centaine de dramatiques télé pour la CBS, souvent des adaptations littéraires ou des programmes prestigieux écrits et interprétés par des grands noms du théâtre ou du cinéma. En 1961, United Artists lui propose de réaliser Le Temps du châtiment, un film sur la délinquance juvénile qui entend renouveler le succès de scandale de Graine de violence (Blackboard Jungle, 1955) de Richard Brooks, le premier film américain à aborder ce sujet en vogue. Frankenheimer accepte presqu’à contrecœur, échaudé par sa première expérience hollywoodienne qui ne lui a apporté aucune satisfaction, Mon père, cet étranger (The Young Stranger, 1957). Sa décision s’explique principalement pour deux raisons. La télévision en direct vit les dernières heures de son âge d’or. Frankenheimer sait qu’il ne jouira plus longtemps des mêmes privilèges à CBS. Il est temps de penser à sa reconversion cinématographique. Le projet lui offre de surcroît la possibilité d’expérimenter un tournage en extérieurs, dans sa ville natale. Une grande partie de l’action se déroule en effet dans le quartier de East Harlem, où des gangs ethniques, portoricains et italiens, se livrent une guerre sans merci. Les scènes de rues sont les meilleures du film, tandis que les scènes d’intérieurs, tournées en studio, sont plus conventionnelles. La séquence d’ouverture, où trois voyous assassinent un jeune aveugle, membre d’une bande rivale, démontre la virtuosité de Frankenheimer, la nervosité de son montage, ainsi que son goût pour les cadrages baroques, hérité du Orson Welles de La Soif du mal (Touch of Evil, 1958). D’autres scènes de violence – un passage à tabac dans le métro et une agression dans un ascenseur – sont elle aussi filmées avec brio et nervosité. Le film raconte l’itinéraire moral du procureur chargé de l’enquête, un homme d’origine italienne qui a gravi les échelons de la société mais n’a pas oublié qu’il a grandi dans le même quartier où le meurtre a été commis. Il est d’abord bien décidé à conduire les trois délinquants sur la chaise électrique. Sa démarche est approuvée par ses supérieurs hiérarchiques en pleine campagne électorale, et qui entendent faire un exemple de ce crime. Mais la réalité de la situation et ses découvertes successives sur la victime, les suspects et leur entourage vont bientôt faire vaciller ses certitudes. Lancaster est excellent dans le rôle du procureur. A ses côtés, on retrouve la toujours géniale Shelley Winters dans un rôle épisodique et émouvant : celui de la mère d’un des jeunes suspects, qui fut autrefois la petite amie du procureur – Winters avait été imposée à la production par Lancaster, un de ses anciens amants. Durant le tournage, les rapports entre le jeune metteur en scène, arrogant et dominateur, et la star Burt Lancaster, connue pour son dirigisme brutal, sont tendus. Le film fait partie des projets de la United Artists que Lancaster est obligé d’accepter afin d’éponger les pertes de ses propres productions, et en particulier Le Grand Chantage (Sweet Smell of Success). Malgré l’inimitié qu’il lui inspire, Lancaster apprend à respecter Frankenheimer en constatant l’originalité de sa mise en scène, du choix de ses cadres et de ses angles de caméra. Le mauvais souvenir que les deux hommes gardent du Temps du châtiment ne les empêchera pas de développer une relation professionnelle durable, et de tourner quatre autres films importants ensemble, parmi lesquels Le Prisonnier d’Alcatraz (Birdman of Alcatraz) et Les parachutistes arrivent (The Gypsy Moths).  

Le film est disponible à la vente en DVD et Blu-ray, édité par Rimini.

Catégories : Actualités

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