Olivier Père

Barry Lyndon de Stanley Kubrick

ARTE diffuse Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick dimanche 12 avril à 20h55. Ce chef-d’œuvre du cinéma mondial sera suivi d’un documentaire inédit, Kubrick par Kubrick de Gregory Monro, qui permet d’écouter les bandes des entretiens que le réalisateur américain accorda à Michel Ciment à plusieurs moments de sa carrière. Quatre ans après la sortie d’Orange mécanique, et faute de pouvoir monter son Napoléon, Kubrick décide d’adapter un roman méconnu de Thakeray, The Memoirs of Barry Lyndon. Kubrick ambitionne de réaliser le 2001: l’odyssée de l’espace du film en costumes, et veut pousser le plus loin possible le réalisme en éclairant les scènes d’intérieur à la bougie. Avec son génial chef-opérateur John Alcott (qui travaille avec lui depuis 2001: l’odyssée de l’espace), il emploie un objectif 0,7 F Zeiss, habituellement utilisé par la Nasa pour filmer sur la Lune. Kubrick choisit Ryan O’Neal à la place de Robert Redford dans le rôle-titre, assurant à la vedette de Love Story une gloire éphémère. Casanier, Kubrick prétend filmer tout le film dans les environs de sa résidence, mais cela se révèle impossible. Le tournage se déroule finalement en Irlande dans une ambiance morose et Kubrick accélère son départ du pays, paniqué par l’éventualité d’attentats de l’IRA. Trop long et trop lent, le film ne marche pas aux États-Unis mais est très bien accueilli en Europe. Visuellement somptueux, Barry Lyndon offre, par son mode de narration et sa mise en scène, l’antithèse du cinéma académique. Kubrick radicalise dans Barry Lyndon l’utilisation de la voix-off, qui annonce à plusieurs reprises les scènes importantes du film avant qu’elles n’aient lieu, supprimant ainsi toute tentation émotionnelle. La méticulosité picturale du film contamine le jeu des acteurs, figés dans des masques grimaçants ou une inexpressivité poudrée. Ryan O’Neal, acteur assez limité, possède la fadeur nécessaire au rôle. Kubrick malmène les conventions du récit picaresque : son anti-héros cynique et arriviste ne gagne la sympathie du spectateur que vers la fin du film, grâce à ses sentiments paternels sincères, cruellement récompensés par la mort accidentelle de son fils. Barry Lyndon est un faux film décoratif, tout aussi désespéré sur la condition humaine et les servitudes sociales qu’Orange mécanique ou Shining.

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2 commentaires

  1. C’ést tout simplement merveilleux.

  2. derouet dit :

    Le film Barry Lyndon est une adaptation très approximative du roman de William Makepiece Thackerey The Luck of Barry Lyndon, publié en 1844.
    Cette distance entre roman et film annonce déjà la distance que la caméra maintient par rapport à l’action. La caméra de Kubrick est, pour la plupart du temps immobile; lorsqu’il y a mouvement, les panoramiques et les travellings sont très lents. La fréquence des gros plans et des zooms arrière réduit les personnages à des figures minuscules.

    Contrairement au roman qui est à la première personne, le conteur dans le film utilise la troisième personne. Kubrick pensait que, dans le livre, la première personne avait pour but de présenter les faits réels de manière déformée. Selon lui, un film montrant une réalité objective racontée par un héros de manière faussée ne pouvait être qu’une comédie, ce qu’il ne voulait pas.

    Kubrick a basé les costumes dans Barry Lyndon sur diverses peintures du XVIIIe siècle surtout de Thomas Gainsborough et de Joshua Reynolds. L’objectif, était de « emmener le public dans le passé, de l’immerger complètement dans l’époque » (Ken Adam, Directeur artistique ). Les peintures de l’époque montraient à Kubrick à quoi « les gens avaient l’air, portaient leurs vêtements et affrontaient leur monde ». (Ken Adam, Directeur artistique ).
    Les costumes de Barry Lyndon non seulement ajoutent à la beauté du film, ils renforcent également l’authenticité historique du film. En regardant le film, on a vraiment l’impression d’avoir un aperçu de la vie au XVIIIe siècle.
    Milena Canonero costumière: « Stanley ne voulait pas montrer la crudité du XVIIIe siècle, mais son élégance… Nous avons fait des recherches sur des peintres anglais, irlandais, français et allemands. Mais ce n’est pas tout. On peut viser une thématique contemporaine dans un film d’époque, et utiliser le costume pour raconter une histoire sociale et politique. Rossellini l’avait fait dans La Prise du pouvoir par Louis XIV, et Kubrick, qui admirait beau- coup ce film, l’a montré avecBarry Lyndon ».

    Kubrick a choisi pour la bande originale de Barry Lyndon des compositions existantes et non une partition originale. C’est ainsi que l’on peut écouter la fameuse grande « Sarabande » d’Handel, des musiques de Bach,de Mozart de Vivaldi, par l’utilisation de l’opus 100 de Franz Schubert, composé en 1827, Kubrick nous fait comprendre que le destin de Redmond Barry va etre scellé. « Ce Trio Sans être absolument romantique, il a pourtant quelque chose d’un romanesque tragique  » Kubrick.

    La fameuse scène aux bougies fut éclairée par deux lustres à 70 bougies et filmée par un objectif 50 mm d’ouverture 0,7. Ce dispositif donne à la séquence une allure spectrale, comme si les personnages étaient des fantômes poudrés et maquillés se donnant apparence humaine.

    S’inspirant de ses recherches sur son projet de film sur Napoléon, Kubrick a aussi beaucoup étudié comment représenter la guerre au XVIIIeme siècle. Il a habilement chorégraphié une séquence montrant des combats entre Anglais et Français durant la guerre de 7 ans (1756-1763), les soldats britanniques avancent méthodiquement en formation linéaire vers les forces françaises. En réponse, les Français tirent à la volée (une ligne de soldats tirant tous simultanément) sur les Britanniques. Tous ces détails sont très réalistes sur une reconstitution d’un affrontement de cette époque . Et là le narrateur du film poursuit en disant que bien que cette rencontre ne soit enregistrée dans aucun livre d’histoire, elle a été suffisamment mémorable pour ceux qui y ont participé. Cette escarmouche ratée avec les Français remplace ce qui était, dans le livre de Thackeray, la description de la victoire anglo-allemande contre les Français à la bataille de Minden le 1er août 1759. Pour apprécier une fois de plus le travail de Kubrick et ses équipes le régiment français sans nom porte les drapeaux de deux vrais régiments français, les Grenadiers Royaux et le Régiment de Flandre. A noter que cette scène représente aussi une similitude avec une autre séquence celle sur l’évocation de la Bataille de Kunersdorf dans le film Le Grand Roi tourné par Veit Harlan de 1942. L’épouse de Kubrick Christiane Susanne Harlan est une des nièces du réalisateur allemand Veit Harlan.

    Avant le duel final kubrick utilise un magistral travelling arrière (figure régulièrement utilisé par lui) lors de l’arrivée de Lord Bullingdon au club ou se trouve Barry Lindon. La scène finale du duel entre Barry et Lord Bullingdon n’existe pas dans le roman de Thackerey ni dans l’histoire « véritable » d’Andrew Stoney Bowes,
    Le film se clôt sur un carton ironique tout kubrickien pour se moquer de toute cette rivalité de classe et que l’égalité n’existe que dans la tombe, nullement dans la réalité.

    Je suis entièrement d’accord avec votre commantaire « Barry Lyndon est un faux film décoratif, tout aussi désespéré sur la condition humaine et les servitudes sociales qu’Orange mécanique ou Shining ». On peut faire le meme constat sur tous ses films .

    Une des très grandes réussite de Stanley Kubrick dans une filmographie déjà impressionnante de qualité.

    Voir l’incontournable livre de Michel Ciment sur Kubrick.
    Sur la guerre de 7 ans le livre de d’Edmond Dziembowski.

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