Olivier Père

Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene

Le Cabinet du docteur Caligari (Das Cabinet des Dr. Caligari, 1919) est un titre important de l’expressionnisme allemand, dont les partis-pris visuels outrés, la stylisation excessive des décors, costumes et perspectives obliques et en angles pointus accoucheront d’un mouvement artistique propre à l’esthétique du film, le « caligarisme. » Cette distorsion de l’espace et des décors s’explique essentiellement par le fait que le film presque tout entier, loin de se contenter d’être un récit cauchemardesque sur la folie, épouse la subjectivité paranoïaque d’un fou enfermé dans un asile, et qui imagine le directeur de l’établissement en génie du mal, sorte de parent du docteur Mabuse. Fritz Lang fut d’ailleurs envisagé pour mettre en scène le film mais il déclina l’offre, trop occupé à tourner Les Araignées. Classique du cinéma muet, Le Cabinet du docteur Caligari est entré dans l’histoire par son style impressionnant mais aussi ses personnages (le somnambule Cesare interprété par Conrad Veidt) et situations qui en font une matrice de tout le cinéma fantastique et d’horreur. Son influence est palpable dans des titres aussi différents que La Nuit du chasseur – le meurtre de Shelley Winters par Robert Mitchum reprend la scénographie et la gestuelle outrancières du film de Wiene – ou Edward aux mains d’argent (Johnny Depp vêtu et maquillé de la même manière que Conrad Veidt.) l’œuvre toute entière de Tim Burton ressemble d’ailleurs à une excroissance du Cabinet du docteur Caligari, également cité par Dario Argento comme son film préféré – nombreuses allusions visuelles dans Suspiria et Inferno, conçus eux aussi comme des cauchemars sur pellicule. De Palma se permet un clin d’œil rigolard à la scène la plus iconique de Caligari – la présentation de Cesare endormi dans son cercueil vertical dans Phantom of the Paradise, soulignant au passage l’influence des maquillages et décors du film sur les groupes de Heavy Metal (Kiss !) de Glam Rock ou de New Wave des années 70 et 80. Sans oublier Roger Avary qui après un extrait de Nosferatu le vampire dans Killing Zoe glisse un extrait du Cabinet du docteur Caligari dans Les Lois de l’attraction qui éclaire son adaptation du roman de Brett Easton Ellis : ses jeunes protagonistes évoluent comme des zombies privés de conscience dans un mauvais rêve éveillé. Pièce de musée sans doute plus datée que les chefs-d’œuvre de Lang et Murnau réalisés à la même époque, le film de Wiene (ou plutôt son « look ») n’a pourtant cessé d’irriguer le cinéma, la mode et la musique comme un réservoir à images inépuisable.

 

Disponible gratuitement sur ARTE.tv, en version restaurée, jusqu’au 31 juillet 2020.

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Un commentaire

  1. Manager_2022 dit :

    Dans le chaos qui a suivi la d b cle de 1918, le cin ma n a pas t le dernier se faire le reflet des inqui tudes populaires aussi bien que des h sitations des classes bourgeoises. Au milieu de ce qui est un kal idoscope de formes, de genres et d exp rimentations appara t le cin aste Georg Wilhelm Pabst qui va, dans un premier temps, livrer sa propre vision des formes expressionnistes : Der Schatz ( Le Tr sor ) est en 1923 un film tr s marqu par Le Cabinet du docteur Caligari ( Robert Wiene, 1919) qui nous conte une intrigue assez proche des drames paysans de Murnau, mais dont le cadre volontiers distordu et le jeu volontiers outr de certains acteurs renvoient aussi cette tendance du cin ma Allemand. Apr s ce film, Pabst est pass toute autre chose. Il a explor pendant le reste de la d cennie d autres formes et d autres esth tiques. Die freudlose Gasse ( La Rue sans joie ) est loign de l expressionnisme tout en en recyclant certains aspects. Il vaudrait mieux le situer du cot du m lodrame ou d un hypoth tique naturalisme , puisque sans surprise, au-del de quelques d cors stylis s qui n ont que peu de points communs avec les d cors totalement faux et esquiss s du fameux Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene, au-del du jeu outrancier et en roue libre de quelques moments-cl s de la performance de Valeska Gert, au-del enfin de la noirceur de l ensemble, du tournage en studio ou de l utilisation du clair-obscur (presque tout le film se passe de nuit, dans une seule rue), on est loin de l expressionnisme, en effet. Mais le film est une somme : loin de la rigueur paralysante des exp riences de Carl Mayer, le concepteur du o s illustr rent Murnau ( Le Dernier des hommes ) ou Lupu-Pick ( Le Rail, La Nuit de la St-Sylvestre ), loin de la m galomanie d un Lang qui souhaitait construire ( Metropolis ) ou reconstruire ( Mabuse, Die Nibelungen ) des mondes, Pabst se repose sur des acquis dans lesquels on peut voir une certaine tradition populaire du cin ma, galement incarn e par Lang cette poque. On peut aussi y voir soit l influence de Von Stroheim, tr s pr sente en Europe cette poque, soit une conception simultan e celle du grand cin aste am ricain qui s investissait dans un cin ma romanesque et fleuve : La Rue sans joie, avec ses 15 personnages dans un lieu unique, gr ne quelques jours de ces destins crois s et se rapproche d un Greed l allemande. Il partage avec lui le th me de l argent ; il le partage aussi avec un autre chef-d uvre du muet, L Argent justement de Marcel L Herbier, mais chacun de ces trois films a su prendre une route diff rente. En tout cas, ce film exceptionnel de Pabst occupe une place qui d passe bien s r le cin ma allemand et qui renvoie plut t l id e que l on se ferait d un cin ma muet europ en, dont il est bien entendu l un des fleurons.

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