Olivier Père

Dead Man de Jim Jarmusch

La corne d’abondance des rééditions estivales nous invite à parler de Jim Jarmusch, dont les six premiers longs métrages sont de nouveau visibles sur grand écran, en version restaurée, distribués par Les Acacias : Permanent Vacation, Stranger Than Paradise (peut-être le seul deuxième long métrage à avoir remporté à Cannes la Caméra d’or, qui récompense chaque année… le meilleur premier film montré lors du festival), Down by Law, Mystery Train, Night on Earth, Dead Man.

L’ultime titre de cette liste, réalisé en 1995, demeure le chef-d’oeuvre de son auteur.

« Il est toujours préférable de ne pas voyager avec un mort. » Cette citation de Henri Michaux en exergue de Dead Man nous fait entrer dans un rêve éveillé, bercé par la partition hypnotique de Neil Young. L’anti western maniériste et ironique de Jim Jarmusch survient lorsque le genre est définitivement enterré. Il ne s’agit pas de le ressusciter mais de le prolonger au royaume des fantômes et des esprits, dans un néant trimbalé sur leur route par un homme blanc déjà mort et un Indien surnommé « Personne ». Grand film politique, Dead Man démarre dans le bourbier infernal du capitalisme et de l’industrialisation des États-Unis de la seconde moitié du XIXème siècle puis s’échappe dans les paysages grandioses de l’ouest sauvage. Dans cette odyssée hallucinée d’un petit comptable au pays de la violence, Jarmusch fait l’éloge de la lenteur, choisit un rythme et un point de vue purement indiens. Le film est traversé de visions sous psychotropes, et adopte une forme épisodique qui lui permet d’accueillir une pléiade d’acteurs fabuleux. C’est la dernière apparition de Robert Mitchum en homme d’affaire irascible et lourdement armé. Johnny Depp est génial dans le rôle de William Blake, homonyme malchanceux du poète anglais. Somptueuse photographie en noir et blanc de Robby Müller. Jarmusch a réussi son Apocalypse Now miniature, son Aguirre version road movie. Aujourd’hui les étoiles de Jim Jarmusch et Johnny Depp ont pâli. Si Only Lovers Left Alive et Paterson étaient des beaux films, The Dead Don’t Die restera comme l’un des pires ratages de l’année. Quant à Johnny Depp, il n’est plus que l’ombre de lui-même, transformé en spectre cireux et hagard, William Blake forever.

 

Catégories : Actualités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *