Olivier Père

Cannes 2019 Jour 1 : Le Daim de Quentin Dupieux (Quinzaine des réalisateurs, film d’ouverture)

La France sied à Quentin Dupieux. Depuis son retour de Los Angeles, où il a tourné une salve de films en totale indépendance, le réalisateur musicien est en pleine forme. Si les fictions excentriques de Dupieux semblaient trouver dans les paysages neutres des villes et des déserts de Californie un terrain propice à un déferlement d’idées et de situations bizarres, l’inscription de l’imaginaire du cinéaste dans des espaces plus confinés – un décor de commissariat dans Au poste !, un village de montagne dans Le Daim – débouche sur des films encore plus réussis, portés par des acteurs habités, hier Benoit Poelvoorde et Grégoire Ludig, aujourd’hui Jean Dujardin et Adèle Haenel. Il y a en outre un véritable plaisir de Dupieux à filmer la France et ses comédiens à travers le prisme de ses lubies de cinéaste. Il semble y trouver un exotisme de proximité, la nostalgie d’un certain cinéma tricolore des seventies (Bertrand Blier par exemple) mêlé à des préoccupations contemporaines, inspirées par le mal-être de notre époque. Le Daim renoue avec la folie sauvage de Rubber – il s’agit une nouvelle fois de meurtres en série dans un univers quotidien. Mais le monstre possède cette fois-ci visage humain : celui d’un quadragénaire ordinaire, Georges, qui plaque famille et travail du jour au lendemain, et dépense toutes ses économies pour vivre son rêve : acheter un blouson 100% daim. Cette relation de possessivité et de jalousie avec le blouson finira par plonger Georges dans un délire criminel… Dupieux pousse très loin le curseur de l’absurde et de l’humour noir. Mais il signe pour la première fois un film « à l’os », débarrassé des digressions surréalistes et des structures gigognes auxquelles il nous avait habitué. Le Daim est tranchant, angoissant, asphyxiant. Il met en scène le voyage sans retour d’un homme emporté par un délire fétichiste et narcissique, une ligne droite vers l’anéantissement d’un être humain et ses rêves de toute puissance. Le Daim est aussi la rencontre de deux folies, celle de Grégoire, vampirisé par un blouson en daim, et celle de Denise, rencontrée dans un bar et aveuglée par sa passion du cinéma. Grégoire prétend contre toute vraisemblance être un cinéaste en tournage dans la région, et la jeune femme fonce tête baissée dans ce mensonge pour échapper elle aussi à sa triste condition de serveuse, et pouvoir enfin participer à la production d’un film. Sans afféterie stylistique, le nihilisme du Daim et son burlesque sanglant n’en sont que plus implacables. Le film de Dupieux bascule dans la comédie horrifique, avec des débordements de violence inattendus. Le rire s’étrangle souvent dans notre gorge et l’ensemble se révèle extrêmement dérangeant. Investi d’une manière inquiétante, Jean Dujardin compose un personnage éloigné des benêts enfantins qui bâtirent sa réputation. L’acteur français joue comme s’il tenait enfin un rôle à la Patrick Dewaere dans Série noire, alors qu’il évoque plutôt les mâles déchus des fables apocalyptiques de Marco Ferreri. Adèle Haenel étoffe son personnage d’annotations biographiques et s’intègre parfaitement à l’univers de Dupieux, sans forcer le trait. Aux antipodes de la relecture d’un cinéma populaire rigolo (Au poste!), Le Daim est une expérience fascinante qui affermit le projet caché de Dupieux : radicaliser son cinéma, et creuser le sillon d’une folie plus dure que douce. Voir le mal en face, sans se départir d’un esprit ludique.

Sortie mercredi 19 juin, distribué par Diaphana Distribution.

 

Jean Dujardin © Bertrand Noël

Jean Dujardin © Bertrand Noël

Catégories : Actualités · Coproductions

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