Olivier Père

Jessica Forever de Caroline Poggi et Jonathan Vinel

Découverts grâce à des courts métrages remarquables au romantisme expérimental, Caroline Poggi et Jonathan Vinel signent un premier long sans aucune équivalence dans le cinéma contemporain, symptomatique d’une pratique du cinéma qui transite par des formes hybrides. Aux images nouvelles, sujet nouveau, qui trouve dans le chaos de notre monde des échos troublants. Jessica Forever, post-film, nous raconte une histoire qui vient après : après l’addiction, après la radicalisation, après le nihilisme. Presque une cure de désintoxication, une thérapie incertaine dans un havre de douceur fragile.

De nombreux films, réalistes ou fantastiques, proposent le récit d’un cheminement vers le chaos, où la violence finit par exploser comme une bombe à retardement. Jessica Forever adopte le postulat inverse, et montre un phénomène à rebours. Des personnages de garçons intrinsèquement violents tentent de trouver la paix, en inventant une utopie qui est d’abord contrariée par les forces de l’ordre social et de la répression. Le personnage de Jessica, sorte de Lara Croft bressonienne, leur propose une thérapie par l’amour, la fraternité et la solidarité. Il y un rapport presque polyphonique au groupe, filmé comme un seul corps à plusieurs têtes.

Notre héritage, court métrage halluciné des réalisateurs, s’inspirait de l’esthétique de la pornographie. Jessica Forever est placé sous le signe des jeux vidéo et de l’Heroic Fantasy.

Ce récit de chevalerie se déroule dans des lieux d’aujourd’hui les plus banalement quotidiens chargés d’une dimension mythologique : espaces urbains, zones préservées, centres commerciaux, résidences pavillonnaires où déambulent ces jeunes guerriers sans bataille, harnachés comme des action figures.

Vidés de la présence humaine, ces décors sans qualité s’apparentent à des mondes virtuels. Aucun adulte n’apparait dans Jessica Forever. Les rares personnes que le groupe rencontre dans sa fuite sont des adolescents en vacances, désœuvrés et offerts aux caresses et aux coups. Quant aux forces de répression représentées par des drones, elles symbolisent un futur déshumanisé dans lequel les policiers ou les militaires ont été remplacé par des machines. Comme dans les précédents courts de Vinel-Poggi, les voix-off occupent une place importante. Ce sont celles de certains garçons qui racontent leurs émotions, mais aussi leurs souvenirs intimes, leurs traumas enfantins, leurs crimes incestueux. Ces voix intérieures offrent aux cinéastes la possibilité de souligner l’incapacité à communiquer de leurs personnages, y compris avec les autres membres du groupe et Jessica. Le jeu des acteurs, très anti naturaliste, contribue avec leurs voix presque blanches à nous plonger dans une ambiance entre trip et cauchemar. Ces garçons sauvages sont filmés comme des demi-dieux, avec des pouvoirs et des fragilités, des blessures aussi, et une apparence de force physique qui dissimule des comportements enfantins. Vinel et Poggi inventent un cinéma mutant, entre teen movie et fable apocalyptique, reflet des angoisses de notre siècle.

 En salles depuis le mercredi 1er mai, distribué par Le Pacte.

Catégories : Actualités · Coproductions

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