Olivier Père

Spermula de Charles Matton

Dans le registre de l’érotisme chic, Spermula (1976) de Charles Matton se pose là. J’avoue que pendant une brève période j’avais punaisé sur un mur de ma chambre de célibataire l’affiche géante de ce film sympathiquement aberrant sur laquelle était écrit « certaines femmes vampires ne se nourrissent pas que de sang ». Le deuxième long métrage du peintre cinéaste après l’avant-gardiste Italien des roses (1972) espère transcender les limites du porno soft par un surcroît de luxe et d’ambition, et un vague argument fantastique et même science-fictionnel. C’est bien sûr impossible. Le résultat se révèle totalement schizophrène, trop arty pour contenter les spectateurs des salles spécialisées de l’époque, trop cochon pour être pris au sérieux par les esthètes. Le changement de titre est symptomatique d’un tel décalage. Matton voulait prétentieusement appeler son film « l’amour est un fleuve en Russie », le producteur le rebaptisa d’un beaucoup plus racoleur – et adapté au résultat – « Spermula ». Cette mésaventure rappelle l’argument d’une comédie de Georges Lautner sortie la même année que le film de Matton, On aura tout vu, dans laquelle un auteur débutant voit son scénario « Le Miroir de l’âme » transformé en « La Vaginale » par un odieux producteur de pornos. Spermula mérite quand même le détour, et devrait réjouir les amateurs d’objets cinématographiques improbables. Le film possède l’avantage de ne pas être avare en jeunes beautés dévêtues, malgré la pruderie déplacée dans un tel contexte de son héroïne, la superbe Dayle Haddon, qui ne montre presque rien. Matton prétend dénoncer la phallocratie en organisant l’arrivée sur terre de créatures féminines à la beauté surnaturelle (les « spermulites de la planète Spermula »), dont le plan est de dominer les hommes en leur retirant leur puissance sexuelle. Les belles extraterrestres vont faire souffler un vent d’anarchie et de libertinage sur les arcanes des pouvoirs religieux, politiques et bourgeois, en ridiculisant des figures masculines caricaturales et grotesques. Ou quelque chose comme ça, le propos n’est pas toujours très clair. Le scénario et l’interprétation sont souvent approximatives. Les dialogues laissent à désirer. On a quand même plaisir à retrouver Piéral, Ginette Leclerc, Georges Géret et Udo Kier impliqués dans des scènes étranges. Matton intègre de nombreuses références picturales ou photographiques dans son film, y compris des emprunts à son propre travail, telles ces constructions miniatures et ces figurines qui introduisent des effets gigognes. La part la plus remarquable de Spermula concerne la direction artistique. Certains décors sont fascinants, avec des intérieurs qui renvoient à l’Art Nouveau du film L’Inhumaine de Marcel Lherbier, des images décadentes ou des maquettes artisanales en hommage à Fellini. On pourrait ranger sans regret Spermula au rayon des films d’antiquaires si le long métrage n’anticipait pas le fameux « cinéma du look » qui allait enflammer le début des années 80, avec les influences conjointes de la publicité et des arts visuels. Ce n’est pas un hasard si les jeunes Claude Miller et Jean-Jacques Beineix furent à peu près les seuls à saluer les qualités esthétiques de Spermula au moment de sa sortie. Les deux futurs cinéastes allaient devenir les principaux représentants de ce « cinéma du look » en France, le premier avec un seul film (Mortelle randonnée), le second avec plusieurs titres (Diva, La Lune dans le caniveau…) On a connu descendance plus prestigieuse, mais l’original a en sa faveur une excentricité qui manque à ses continuateurs.

Spermula est disponible en blu-ray et en DVD, édité par Carlotta, en unitaire ou dans un livre-coffret qui réunit tous les films de Charles Matton et les place en perspective son oeuvre picturale.

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