Olivier Père

Synonymes de Nadav Lapid

Synonymes débute par une mort et une renaissance symboliques, avec un corps nu à moitié gelé dans un grand appartement parisien vide. L’histoire qui va suivre est inspirée par les années de jeunesse du cinéaste en exil volontaire dans la capitale française, loin de l’état hébreu qu’il a voulu fuir.

Faire table rase d’une culture, d’une langue et d’un pays qu’on a renié pour repartir à zéro et trouver une terre d’adoption : tel est le programme de Yoav, alter ego cinématographique de Nadav Lapid, interprété par Tom Mercier, révélation de Synonymes.

Tous les films de Nadav Lapid traitent de son rapport très conflictuel avec Israël, qui dépasse la contestation politique. Synonymes entretient des liens secrets ou évidents avec les longs ou courts métrages précédents du réalisateur (La Petite Amie d’Émile, Le Policier, L’Institutrice, Journal d’un photographe de mariage). Cette colère envers Israël correspond à celle d’une relation passionnelle à l’échelle d’un pays.

Ce troisième long métrage enregistre le double échec de son jeune protagoniste : celui de rompre avec Israël qui l’accompagne partout malgré lui, et celui de « créer du lien » avec la France, terre finalement inhospitalière. Synonymes est l’aboutissement (provisoire) du passionnant projet de Nadav Lapid. Il s’agit d’imaginer des formes nouvelles à partir d’histoires et de sujets qui refusent normalement d’accueillir la poésie, de prouver qu’en associant des mots et des images de haine et de détestation, on débouche sur de la beauté. La beauté est affaire de collisions et de regard, tout ce qui est laid peut être beau. Nadav Lapid invente un cinéma de poésie en provoquant des chocs violents et désagréables, des distorsions parfois grotesques ou comiques.

Il parvient à transformer des idées et des sentiments en images de cinéma, à faire surgir la grâce de la trivialité.

Au cœur du chaos, de la confusion et des contradictions du personnage de Yoav, plongé dans des situations extrêmes, Nadav Lapid rétablit la puissance de la parole (psalmodiée, murmurée, chantée, criée). Les mots occupent une importance capitale. Ils sont au cœur du film, indissociables de la pensée et des sentiments. Matière filmique, matière vivante, matière intellectuelle… Lapid procède dans Synonymes à un véritable travail d’alchimiste. Il n’est pas question de magie dans sa démarche, mais d’une croyance folle dans le cinéma, dont les possibilités sont ici explorées. Les rencontres qui jalonnent le périple de Yoav dans les rues parisiennes font entrer dans le film une galerie de personnages beaux, pathétiques, inquiétants, monstrueux… Autant de caractères qui nourrissent le cinéma à la fois lyrique et analytique de Nadav Lapid, et témoignent d’un dialogue intime avec l’histoire du cinéma français. Le souvenir des films de Bresson, Eustache, Godard (années 60 et 80), plus près de nous Desplechin et Garrel (à travers les interprètes du couple de jeunes bourgeois qui tombe amoureux de Yoav, Quentin Dolmaire et Louise Chevillotte) irrigue Synonymes. Synonymes se clôt sur une porte désespérément fermée. Entretemps, le film aura ouvert des perspectives d’une grande richesse, et retrouvé le goût de la dialectique, et surtout « ce plaisir aristocratique de déplaire » qui manquent tant au cinéma contemporain.

 

Sortie le mercredi 27 mars, distribué par SBS Distribution.

Catégories : Actualités · Coproductions

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