Olivier Père

Meurtre de Alfred Hitchcock

Meurtre (Murder!, 1930) est le troisième long métrage parlant d’Alfred Hitchcock. L’influence du cinéma expressionniste allemand, avec un jeu sophistiqué sur l’ombre et la lumière, des mouvements de caméra complexes et des cadres angoissants qui enserrent les personnages se ressent sur le travail d’Hitchcock. Meurtre occupe une place particulière dans la veine criminelle du cinéaste anglais, puisqu’il ne repose pas sur la construction d’un suspens mais appartient à la catégorie du « whodunit », c’est-à-dire au cheminement d’une enquête visant à démasquer un coupable inconnu du spectateur et des protagonistes de l’histoire. Dans le film qui nous intéresse cette investigation n’est pas menée par la police, mais par un détective amateur qui cherche à innocenter une actrice condamnée à mort pour le meurtre d’une rivale. La motivation principale du héros est la culpabilité : il figurait parmi les douze jurés lors du procès de la jeune femme, et n’était pas parvenu à empêcher la sentence de peine capitale malgré ses sérieux doutes. Les remords et la décision du juré, célébrité de la scène théâtrale à la ville, surviennent tandis que ce dernier se rase devant sa glace, en écoutant l’ouverture de « Tristan et Isolde » de Wagner. C’est l’une des plus belles séquences du film, et le véritable pivot d’un récit, où tous les personnages semblent avancer comme des funambules, entre liberté et fatalité. La prise de conscience de Sir John est dédramatisée, il s’engage avec détermination mais sans passion dans la recherche de la vérité, tandis que la condamnée accepte avec résignation la sentence de mort, sans chercher à se révolter ou à clamer son innocence. Le critique Jacques Lourcelles, qui place très haut Meurtre dans l’œuvre d’Hitchcock, souligne l’attitude sublime des acteurs, « notamment dans cette étrange réserve, cette pudeur qui, chez les trois principaux d’entre eux, fait que leurs personnages ont l’air de s’effacer devant l’importance de la tragédie qui se noue. » (Dictionnaire des films)

Le troisième personnage, qui n’intervient que dans le dernier acte du film, c’est bien entendu le vrai meurtrier. Sa caractérisation est fascinante. Hitchcock le désigne à la fois comme un coupable et une victime. Victime de sa condition de métis, qu’il garde secrète et qui motivera son geste criminel dans un réflexe d’auto protection. Le métissage est en fait un alibi pour suggérer l’homosexualité de ce personnage, qui se livre à des performances en travesti sur scène ou au cirque. L’homosexualité est donc le secret de cet homme, comme l’amour éprouvé pour la jeune prisonnière est le secret de l’enquêteur. Le morceau de bravoure final, au cours duquel Hitchcock démontre une maîtrise géniale des éléments dramatiques, de l’espace et du temps, se conclut sur une chute, terrifiante et suggérée. Le motif de la chute se répètera souvent dans les films du cinéaste. Une chute assortie d’une rédemption posthume, sous la forme d’une lettre de confession. Le film de déroule en partie dans le monde du théâtre et met en scène des comédiens. La description des coulisses un peu minable d’une petite troupe itinérante, en opposition au train de vie luxueux d’une vedette anoblie de la scène, permet au film d’évoluer dans des univers sociaux très différents. Le milieu théâtral occupera aussi un rôle primordial dans le déroulement de l’intrigue. C’est le théâtre, avec l’idée de faire jouer une scène de meurtre au suspect lors d’une fausse audition, en s’inspirant de la scène II de l’acte III de Hamlet, qui permettra de confondre le coupable.

Meurtre est disponible en ligne gratuitement sur le site d’ARTE jusqu’au 17 mars.

 

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