Olivier Père

Le Départ de Jerzy Skolimowski

Le Départ est l’histoire d’un faux départ. Il ne s’agit pas du film du début de l’exil pour Jerzy Skolimowski mais d’une première incartade en dehors de la Pologne. Le cinéaste saisit l’opportunité d’un projet de long métrage en Belgique à l’initiative d’une productrice néophyte. L’écriture, la préparation et le tournage du film sont exécutés en un temps record. Le Départ remporte l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1967, un an après que Roman Polanski, complice des premiers pas cinématographiques de Skolimowski, a obtenu la même récompense pour Cul-de-sac, réalisé en Grande-Bretagne. Quelques mois plus tard survient l’interdiction par la censure de Haut les mains, tourné en Pologne et accusé par les autorités politiques d’être une charge antistalinienne. Profondément atteint par cette entrave à sa liberté de cinéaste, Jerzy Skolimowski prend la décision de ne plus travailler dans son pays natal. Commencera alors une longue période d’errance pour le réalisateur polonais, entre l’Europe de l’ouest et les États-Unis, parsemée de réussites éclatantes mais aussi d’échecs cuisants.

Il n’est pas anodin de constater que Le Départ raconte la préparation d’un projet dans la précipitation, et se termine par un acte manqué. Cet autre faux départ fait écho au va-et-vient de son auteur, et annonce son inévitable exil. Jerzy Skolimowski est un cinéaste de l’énergie, mais d’une énergie vaine. Il s’agit plutôt de dépense. Déjà dans Walkover, Skolimowski s’attribuait le rôle d’un jeune boxeur sans cesse en mouvement, mais qui faisait du sur place, marchait à reculons ou revenait en arrière, jusqu’à une victoire absurde sur le ring, remportée sans que le combat ait eu lieu, par abandon de son adversaire.

Dans Le départ, Marc (Jean-Pierre Léaud) est un garçon-coiffeur obsédé par les courses de voitures et mû par une idée fixe : rassembler l’argent nécessaire ou trouver l’astuce qui lui permettra de participer à un rallye avec une Porsche 911 S. Le film est une course contre la montre avant l’échéance du départ du rallye. Les multiples plans et tentatives malhonnêtes de Marc pour récupérer une Porsche ou l’argent pour en louer une se soldent par des échecs à répétition. Menée à cent à l’heure, Le Départ est une comédie truffée de trouvailles poétiques dont il est aisé de connaître l’issue dérisoire. Skolimowski filme en accéléré le passage à l’âge adulte d’un éternel adolescent, avec le lot de désillusions et de renoncements que cela implique. Skolimowski filme pour la première fois dans une société capitaliste, et place au cœur de son histoire le symbole rutilant du boom économique, l’automobile. Ce signe extérieur de richesse, d’indépendance et de puissance ne cesse d’échapper au jeune homme, aliéné par sa condition de classe, un horizon professionnel bouché et des promesses d’avenir sans envergure. Sous des apparences de grande désinvolture, et son humour potache, Le Départ offre une critique féroce de la société de consommation, de l’argent qui ouvre ou ferme toutes les portes. Marc aura ainsi la tentation de se prostituer avec une cliente aisée du salon de coiffure pour parvenir à ses fins. Des deux côtés du rideau de fer les jeunes antihéros de Skolimowski se heurtent aux mêmes problèmes matériels et existentiels.

Le cinéaste polonais paie sa dette à la Nouvelle Vague française dont il emprunte le style juvénile et survolté, et surtout son acteur fétiche, Jean-Pierre Léaud qui venait de tourner dans Masculin féminin de Jean-Luc Godard. Les deux films partagent aussi le même directeur de la photographie Willy Kurant, qui réussit des exploits techniques en filmant avec très peu d’éclairages les rues de Bruxelles et des scènes de nuit, dans un noir et blanc contrasté. Léaud donne libre cours à sa verve comique et accomplit devant la caméra des prouesses physiques dignes des grands acteurs burlesques. Le film, entièrement postsynchronisé, est rythmé par la musique jazzy, tour à tour frénétique et mélancolique, du génial compositeur Krzysztof Komeda.

Le Départ : ressortie en salles le mercredi 21 novembre en version restaurée, distribué par Malavida. Le film est également disponible en DVD, chez le même éditeur, vendu avec le CD de la bande originale de Krzysztof Komeda.

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