Olivier Père

Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez

Un couteau dans le cœur est le second film de Yann Gonzalez, déjà salué pour ses courts et son premier long métrage, Les Rencontres d’après minuit en 2013. Un couteau dans le cœur est un thriller d’amour et de mort situé dans le milieu du cinéma pornographique homosexuel de la fin des années 70, à Paris. Entre références au « giallo » italien et au « slasher » américain, Un couteau dans le cœur organise un ballet amoureux et baroque autour de Anne (Vanessa Paradis), une productrice dévastée par la passion et ses démons intérieurs. Tandis qu’Anne tente de reconquérir la femme qu’elle aime et supervise la réalisation d’un nouveau porno avec son équipe habituelle, certains de ses jeunes acteurs sont assassinés par un mystérieux tueur masqué qui poignarde ses victimes lors d’actes sexuels violents avec un godemichet doté d’une lame. Un couteau dans le cœur entrelace la fin d’une liaison amoureuse entre Anne et sa monteuse Loïs (la toujours fascinante Kate Moran, égérie de YG), des crimes en série particulièrement sanglants et le tournage d’un film porno gay qui a accueilli dans son intrigue la vague de meurtres qui touche le petit monde du porno underground parisien. Ces réseaux de fictions nouées entre elles montrent les divers degrés de cynisme, d’inconscience mais aussi de passion folle pour le cinéma qui poussent Anne à modifier le canevas de son film pour y introduire une enquête sur les meurtres des garçons. Gonzalez met en scène le film dans le film, la circulation incessante entre la vie et le cinéma, le fantasme et la réalité, le travail et les sentiments au sein d’une communauté homosexuelle de marginaux soudés par leur amitié et leur petit commerce à la limite de la clandestinité dans la périphérie de l’industrie cinématographique respectable. Gonzalez, en décrivant un groupe de travailleurs du cinéma (et du sexe), renvoie à l’aventure Diagonale – société indépendante fondée par Paul Vecchiali, qui produisit notamment Change pas de main et Simone Barbès ou la vertu, deux films admirés par Gonzalez et qui trouvent un écho direct dans Un couteau dans le coeur.

Déclaration d’amour au cinéma, Un couteau dans le cœur est donc aussi une profession de foi, un manifeste sur une certaine manière de penser, de vivre et de concevoir des films en liberté. La dimension rétro du film de Yann Gonzalez introduit une réflexion sur la fin de l’hédonisme sexuel des années 70, et la vague de meurtres qui frappe des jeunes gays ou des junkies annonce l’arrivée prochaine du sida qui va cruellement frapper cette communauté. Ce coup de rétroviseur n’empêche pas le film de rêver une utopie très moderne, de se transformer en geste politique. Un couteau dans le cœur propose une représentation joyeusement triomphante de l’homosexualité, montrée ici comme une évidence qui ne se discute ni se commente (tous les personnages sont gays ou presque). Le film se dresse aussi comme un étendard dans le paysage du cinéma français et milite pour un imaginaire déchaîné et trivial, capable de mélanger différentes formes cinématographiques, différentes écoles, sans jamais les hiérarchiser, de la série Z à Werner Schroeter. Il y a déjà Bertrand Mandico – qui joue un caméraman dans Un couteau dans le cœur – qui applique ce programme en France : son premier long métrage Les Garçons sauvages a recueilli la plus grande attention, méritée, lors de sa sortie cette année.

On aurait tort de considérer Un couteau dans le cœur comme un simple pastiche des genres parmi les plus impurs du cinéma (pornographie, horreur et érotisme) réalisé par un cinéphile déviant. Il y a des citations dans le film de Gonzalez, mais elles dépassent le statut de clins d’œil complices avec le spectateur connaisseur. Les emprunts visuels, narratifs ou décoratifs à Dario Argento, Lucio Fulci, Brian De Palma, William Friedkin, Andrzej Zulawski, Jean Rollin, Jess Franco et même Michele Soavi (les masques d’oiseau, la troupe massacrée de Bloody Bird) et Lamberto Bava (la salle de cinéma comme lieu de mort de Démons) constituent l’essence du film lui-même, dans une sorte d’agencement nostalgique, intime et amoureux, pas si éloigné de l’art du collage et de la collision d’images et de sons de Quentin Tarantino. Il y a certes une part de fétichisme dans le projet de Yann Gonzalez, mais ce fétichisme participe avant tout à la création d’un cinéma lyrique, surréaliste et flamboyant. Gonzalez entretient une relation charnelle avec le cinéma. Il en montre dans Un couteau dans le cœur les différentes étapes, du tournage au montage, de la fabrication à la projection – la belle dernière séquence dans une salle porno où Anne assiste à une séance de son propre film, au milieu d’habitués des quartiers populaires parisiens. L’un des passages les plus inspirés montre Anne graver au couteau sur la pellicule un message destinée à son ex amante. La passion de Yann Gonzalez pour le 35mm s’inscrit au cœur même de son film. Le cinéaste ne cherche pas vraiment à écrire une intrigue policière cohérence – son film bifurque rapidement dans l’onirisme et le fantastique poétique, sans souci de logique ou de réalisme. Un couteau dans le cœur est avant tout un mélodrame de sang, de sperme et de larmes qui charrie des émotions plus grandes que nature. Gonzalez refuse aussi de se prendre au sérieux et associe à la poésie ou à la violence de ses images une bonne dose d’humour et de fantaisie, encouragé par une troupe d’acteurs formidables, menée par le génial Nicolas Maury, très drôle en directeur de production blond platine, quelque part entre Brigitte Lahaie et Helmut Berger.

Un couteau dans le cœur sort le mercredi 27 juin, distribué par Memento.

Par un heureux hasard le film de Yann Gonzalez sera sur les écrans en même temps qu’une rétrospective Brian De Palma à la Cinémathèque française, qu’une réédition en salle et en version restaurée de Simone Barbès ou la vertu de Marie-Claude Treilhou (distribué par La Traverse) et que la reprise de pas moins de six films de Dario Argento, invisibles depuis longtemps au cinéma : L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat à neuf queues, Les Frissons de l’angoisse, Suspiria, Phenomena et Opera (distribués par Les Films du Camélia).

 

 

 

 

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2 commentaires

  1. Claire dit :

    J’ai visionné ce film sur Arte.tv, en partie tant j’ai trouvé les scènes de crime insoutenables, étant donné que je fais partie du public sensible.
    Je ne comprends pas que ce film ne comporte pas une mention d’âge minimum et que le message d’avertissement ne fasse que de le déconseiller au public jeune ou sensible sans préciser qu’il s’agit de scènes de violence sexuelle criminelle.
    Je suis encore marquée par ces scènes et je ne peux imaginer l’impact qu’elles peuvent avoir sur un jeune public.
    Je suis déçue de votre chaîne.

  2. Olivier Père dit :

    Bonjour le film a été interdit aux moins de douze ans avec avertissement lors de sa sortie en France. C’est en raison de cette interdiction que la vidéo sur Arte.tv est précédé d’un avertissement, comme nous le faisons pour tous nos programmes déconseillés aux personnes sensibles.

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