Olivier Père

Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica

ARTE diffuse Le Voleur de bicyclette (Ladri di biciclette, 1949) lundi 28 mai à 23h05, en version restaurée. C’est un titre essentiel, avec Rome, ville ouverte de Rossellini et Sciuscià, réalisé deux ans plus tôt par De Sica, du néoréalisme italien et par la même occasion de l’histoire du cinéma. Le Voleur de bicyclette est né de l’association entre Vittorio De Sica, acteur vedette de comédies sentimentales des années 30, et du scénariste Cesare Zavattini, véritable théoricien du néoréalisme. Il s’agit pour les deux hommes de rentre compte de la réalité sociale et humaine du pays au sortir de la guerre, en rupture avec l’esthétisme et les méthodes de tournage du cinéma tel qu’il se pratiquait avant et durant le fascisme. Il est primordial de descendre dans la rue, d’enregistrer les conditions de vie du peuple italien, d’abandonner les artifices des décors et les conventions des scénarios traditionnels. L’état de l’industrie du cinéma italien, en crise après la guerre, ne laisse d’ailleurs pas le choix aux cinéastes et producteurs, obligés de se remettre en question. Il faut faire table rase du passé, repartir à zéro pour faire entrer le cinéma dans une nouvelle ère avec de nouveaux outils, capable d’appréhender le monde dans toute sa complexité. Le Voleur de bicyclette a été tourné dans les rues de Rome, avec des comédiens non professionnels. L’argument du film est simple : un ouvrier au chômage trouve enfin un emploi de colleur d’affiches qui nécessite la propriété d’un vélo. Le vol du précieux moyen de transport va détruire le fragile équilibre qui aurait permis au père de famille de sortir de la précarité. Avec son fils, il va entreprendre la recherche désespérée du vélo à travers la ville. Cette histoire permet à De Sica et Zavattini de suivre un personnage dans une quête qui lui fait rencontrer plusieurs protagonistes, représentants des différents mouvements de pensée, idéologies et partis politiques qui constituèrent la société italienne après la chute de Mussolini. La structure elliptique du film, son récit ouvert aux accidents ne portent absolument pas la trace de l’improvisation ou du hasard. La réussite du film est le fruit d’un minutieux travail préalable du cinéaste et de son scénariste, qui inventent une nouvelle forme de narration, et un nouveau rapport à l’action. On a souvent reproché à De Sica son sentimentalisme lacrymal et son humanisme réconfortant. Cette critique infondée ne tient pas compte du constat politique lucide du film, qui montre à quel point la misère a détruit les liens de solidarité dans la classe ouvrière, transformant les chômeurs en délinquants potentiels. Le Voleur de bicyclette est un film bouleversant, mais qui n’a recours à aucun effet facile pour déclencher l’émotion du spectateur, et fait preuve d’une irréfutable conscience morale et politique. A la différence de la traduction française erronée, le titre italien refuse de mentionner un destin individuel et désigne le peuple comme des voleurs de bicyclettes, réduits à l’égoïsme et à la malhonnêteté pour pouvoir survivre. Après Les enfants regardent et Sciuscià, De Sica confirme dans ce troisième film son talent à mettre en scène l’enfance confrontée à la dureté du monde. Le fils de l’ouvrier, jeune interprète inoubliable du Voleur de bicyclette, est à la fois la victime et le témoin désolé du drame des adultes, subissant les conséquences de la pauvreté et de la guerre mais empli d’un amour qui constitue un note d’espoir au sein d’un film d’une grande noirceur.

 

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