Olivier Père

Cannes 2018 Jour 2 : Les Ames mortes de Wang Bing (Séance Spéciale)

« Utiliser le présent pour parler du passé », telle est l’ambition déclarée des Ames mortes (Dead Souls), l’essai documentaire monumental de Wang Bing qui s’intègre dans un travail de mémoire dont il est la somme, après les remarquables Fengming, chronique d’une femme chinoise (2007) et Le Fossé (2010, film de fiction), consacrés au même sujet historique, avec des moyens cinématographiques différents.

En 1957, le gouvernement chinois lance une campagne anti droitiers afin d’écarter toute personne suspecte d’opposition au pouvoir en place. Mao estime alors que les éléments réactionnaires représentent 5% de la population globale de la Chine. Les cadres du parti et les intellectuels sont invités à émettre des critiques envers le régime, puis condamnés à être « rééduqués » dans des camps de travail. Des purges systématiques sont organisées.

Entre 550 000 et 1 300 000 personnes sont désignées on ne connaîtra jamais le chiffre exact.

De 1957 à 1958, dans la province du Gansu, environ 3200 hommes et femmes désignés comme « ultra-droitiers » sont envoyés au camp de la ferme de Jiabiangou dans le désert de Gobi, pour être rééduqués par le travail. Cette ferme, où les conditions de détention sont inhumaines, est en réalité un camp de la mort où les prisonniers vont souffrir de famine, les survivants ne devant leur salut qu’à une chance miraculeuse ou au soutien de leur famille.

Pendant douze ans, entre 2005 et 2017, Wang Bing a recueilli les témoignages de survivants de ce camp, qui décrivent les conditions de détention effroyables. Wang Bing croit en la puissance évocatrice de la parole, et le film se transforme en litanie ininterrompue, un flot de mots qui extirpe de l’oubli et de la disparition des milliers de victimes d’une tragédie dont les traces ont été minutieusement effacées par le gouvernement chinois, même si ces anciens prisonniers ont presque tous été réhabilités après la mort de Mao. Historien et mémorialiste, Wang Bing construit un tombeau pour ces âmes errantes privées de sépulture. Les mots ne suffisent pas, il faut aussi retrouver et filmer les derniers vestiges de ces milliers de morts, des ossements humains enfouis à fleur de désert, que la caméra de Wang Bing saisit frontalement. Il fallait cette durée fleuve pour conserver la parole d’hommes et de femmes dont les vies ont été bouleversées à tout jamais, chercher à comprendre les mécanismes de l’horreur, et rendre hommage à leurs compagnons qui n’ont pas survécu à cette épreuve. Premier événement cinématographique de ce festival, Les Ames mortes est une œuvre essentielle, un travail de mémoire et de recueillement indispensable, élaboré par un grand cinéaste à la recherche de la vérité avec les outils du cinéma, sur l’une des pages les plus sombres de l’Histoire de l’humanité.

Les Ames mortes de Wang Bing

Les Ames mortes de Wang Bing

Catégories : Actualités · Coproductions

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