Olivier Père

L’Ascension de Larisa Shepitko

Venant enrichir le superbe catalogue des éditions Potemkine, un coffret DVD regroupe plusieurs films de Larisa Shepitko et Elem Klimov, cinéastes soviétiques et époux à la ville. Parmi eux, L’Ascension (Voskhozhdeniye, 1977), quatrième et dernier long-métrage de Larisa Shepitko, disparue dans un accident de voiture le 2 juillet 1979, à l’âge de 41 ans. L’Ascension, Ours d’or à Berlin et immense succès public en URSS sera ainsi un film en forme de consécration, en même temps qu’un testament artistique prématuré.

L’Ascension est un film de visages et de regards, souvent filmés en gros plans, dans un noir et blanc splendide. Il commence comme un film de guerre, mais évacue rapidement l’action pour se concentrer sur des dilemmes moraux et atteindre une dimension spirituelle dans sa dernière partie. Le film se déroule durant l’hiver 1942, en Biélorussie. Il débute par l’attaque d’un convoi allemand par un détachement de partisans de l’Armée rouge. Les échanges de coups de feu ont lieu tandis que le générique s’inscrit sur les images, comme pour masquer la valeur spectaculaire de cette séquence montée et rythmée de manière efficace. La réalisatrice accordera beaucoup d’importance, par la suite, aux scènes de fuite dans la neige et dans la seconde moitié du film, aux conversations en huis-clos. Dans une Biélorussie glaciale et enneigée, les nombreux villages sont passés sous le joug nazi, et des collaborateurs locaux ont rejoint les forces allemandes, en participant aux représailles sur les populations et à la torture des prisonniers accusés de résistance. La famine fait des ravages dans les campagnes, et c’est lors de la recherche dans la steppe de ravitaillement que deux partisans sont capturés par les Allemands et leurs sbires, après avoir trouvé refuge dans une ferme habitée par une mère et ses enfants. L’un des deux hommes a été blessé par balle. Emmené dans un camp de prisonniers, ils vont être interrogés par un agent russe au service de la Gestapo, et confrontés à un choix : mourir ou trahir. L’Ascension, film exceptionnel, réunit les qualités formalistes du grand cinéma soviétique, mais surprend par sa dimension religieuse. Larisa Shepitko a bravé la censure pour imposer une vision mystique d’un épisode guerrier, qui place ses différents protagonistes devant les questions du sacrifice, su salut et de la rédemption. Soumis à la question ou à la tentation, torturés ou soudoyés par la figure diabolique du collaborateur – génialement interprété par Anatoli Solonitsyne, l’acteur fétiche de Tarkovski, inoubliable Andrei Roublev et écrivain de Stalker – l’un des deux partisans va se transformer en Christ, tandis que son ami épousera la destinée infamante de Judas. L’allégorie biblique est loin d’être sibylline. Elle est déclinée dans une série de motifs visuels et narratifs. L’ascension du titre décrit le sentier escarpé que les condamnés à mort devront gravir pour accéder à la place du village, où des potences ont été dressées, telles un Golgotha. L’exécution publique organisée par les Nazis et les collaborateurs biélorusses est filmée comme un chemin de croix, à laquelle assiste médusé le traître, qui a échappé au châtiment suprême en promettant de rejoindre les sympathisants du IIIème Reich. Le cinéma soviétique a produit en quantité des films patriotiques exaltant le courage des soldats et du peuple russe dans sa lutte sans merci contre l’agresseur nazi. Mais L’Ascension dépasse les intentions propagandistes et la seule glorification de l’Armée rouge et du sacrifice des populations civiles. Le film propose une réflexion dialectique sur le Bien et le Mal, confronte le courage à la lâcheté et à la trahison. Dans cette exploration de l’âme humaine et de nos décisions dans des situations extrêmes, Shepitko rejoint Dostoïevski et renvoie à une culture chrétienne qui déplut fortement aux autorités soviétiques. La scène de la pendaison, avec son échange muet de regards entre le condamné à mort et un jeune garçon contraint à assister à l’exécution, est touchée par la grâce et atteint une forme de pure poésie cinématographique. Huit après L’Ascension, Elem Klimov consacrera à son tour un film sur les crimes de guerre perpétrés par les Nazis en Biélorussie, traversé par des visions apocalyptiques. Titre essentiel du cinéma soviétique, Requiem pour un massacre/Va et regarde est absent du coffret Shepitko/Klimov, mais il est disponible en édition séparée toujours chez le même éditeur, Potemkine.

L'Ascension de Larisa Cheptiko

L’Ascension de Larisa Shepitko

 

 

 

 

 

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Un commentaire

  1. Bertrand Marchal dit :

    Pas d’entrée pour Requiem pour un Massacre, mais je suppose que vous l’avez vu et qu’il vous a cloué au sol au point que les mots sont restés coincés dans votre gorge.

    Ironie à part, ce film, Requiem, est une comète incandescente qui a traversé le ciel du cinéma un jour lointain et dont l’éclat fulgurant a marqué à jamais la mémoire de quelques cinéphiles qui se sentent bénis et transcendés par une expérience hors du commun. Ce n’est pas un film, c’est un hurlement mystique.

    Je retombe sur mes pattes pour parler aussi de L’Ascension; je me suis procuré le dvd l’année passée. C’est le panneau arrière de l’œuvre de Klimov. Autant celle-ci est brutale, hyperréaliste, hyperbolique, hystérique, infernale, autant le film de sa compagne est retenu, intériorisé, son lyrisme se joue dans les replis de l’âme des personnages. Le film porte une mélancolie féminine, absente de son alter ego viril; les deux sont imprégnés de sacré.

    Il faut les voir tous les deux, absolument.

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