Olivier Père

Roar de Noel Marshall

C’est sans doute l’une des grandes redécouvertes cinématographiques de ces derniers mois. Rimini a édité en combo DVD et Blu-ray Roar (1981) de Noel Marshall, accompagné d’un livret de 24 pages sur les coulisses du tournage.

Le film a également bénéficié d’une ressortie en salles le 7 février en version restaurée, distribué par Carlotta.

Cette curieuse (et furieuse) production indépendante entre documentaire, fiction et film de famille, qui bénéficia d’une discrète sortie dans les salles françaises, au milieu des années 80. Roar à tout de l’anomalie filmique, et même du caprice d’un couple, le producteur Noel Marshall qui dilapida une partie de sa fortune (acquise grâce au triomphe mondial de L’Exorciste de William Friedkin) et son épouse Tippi Hedren (Les Oiseaux, Pas de printemps pour Marnie), actrice à la préretraite anticipée, pour partager avec le public leur passion des grands fauves, née lors d’un tournage en Afrique.

L’intrigue de Roar est un prétexte pour mettre en scène un mode de vie très particulier et un amour immodéré des animaux sauvages. Le couple Marshall avait en effet acheté des dizaines de fauves et bêtes sauvages à des cirques ou des zoos, réunissant des animaux domestiqués mais non dressés dans leur propriété californienne, non loin de Los Angeles. Les animaux vivaient en liberté avec le couple, partageaient la propriété et dormaient même avec eux. C’est là que fut entièrement tourné le film Roar, censé se dérouler dans un ranch en Afrique.

Une femme et ses enfants atterrissent sur la piste d’un petit aéroport de la brousse africaine pour retrouver leur mari et père. Ce dernier retenu par un contretemps n’est pas là pour les accueillir et sa famille va découvrir terrifiée que la maison est envahie par des lions, des tigres et des panthères.

Pendant tout le film on se demande un peu ce que l’on est en train de regarder : c’est beaucoup moins propre qu’une production Disney sur la vie sauvage, pas aussi effrayant qu’un film d’invasion animale comme Les Oiseaux de Hitchcock et ses nombreuses imitations, même si certaines séquences provoquent la sidération du spectateur et aussi l’angoisse. Le point fort du film repose sur ses effets de réel, l’absence flagrante de trucage ou du moindre recours à des cascadeurs. Les acteurs qui jouent plus ou moins leurs propres rôles (la jeune Melanie Griffith et sa mère Tippi Hedren, Noel Marshall) côtoient des bestioles monumentales et dangereuses, tigres, lions et panthères qui les poursuivent ou se jettent sur eux. C’est l’aspect le plus réussi du film, en dépit de son amateurisme. Roar devient une illustration par l’absurde de la loi esthétique d’André Bazin sur le « montage interdit » : « Quand l’essentiel d’un événement est dépendant d’une présence simultanée de deux ou plusieurs facteurs de l’action, le montage est interdit. » Cette théorie chez Bazin n’excluait pas la croyance du spectateur, ou le recours au trucage – inexistant dans le film de Noel Marshall. Bazin cite des films comme Crin-Blanc, Nanouk l’esquimau ou Louisiana Story qui mettent en scène des non professionnels dans une approche semi documentaire qui authentifie les actions montrées à l’écran, impliquant souvent des animaux sauvages. Dans Roar c’est une vedette connue du public, Tippi Hedren (sa fille Mélanie n’accèdera que quelques années plus tard à la notoriété) qui partage l’espace du plan, sans doublure possible, avec des bêtes féroces et énormes qu’on devine heureusement bien nourries. Tippi Hedren avait déjà subi l’assaut de véritables oiseaux jetés sur son visage par Hitchcock lors de ses débuts cinématographiques, blessée physiquement et traumatisée par les relents de sadisme à son égard du génial cinéaste. Dans Roar elle passe du statut de modèle manipulée à cette de (fausse) victime consentante de son propre dispositif cinématographique. Du point de vue de sa production, Roar est un cas d’école, puisque c’est l’exemple de (presque) tout ce qui ne faut pas faire. Tippi Hedren et Noel Marshall ont investi leur fortune personnelle pour produire ce film dont le tournage a duré six ans, entre 1974 et 1980. Roar hérita de nombreux superlatifs : tournage le plus long de l’histoire du cinéma, mais aussi film le moins rentable (2 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis pour un budget démesuré à l’époque de 14 millions) et le plus dangereux pour ceux qui y participèrent. Pour les besoins du film près de 200 fauves furent réunis, d’origines diverses, non dressés, ce qui provoqua de nombreux accidents. Plusieurs membres de l’équipe furent grièvement blessés (griffés ou mordus), parmi lesquels Tippi Hedren et Melanie Griffith qui faillit être défigurée. Le directeur de la photographie Jan de Bont (collaborateur de Paul Verhoeven et John McTiernan et futur réalisateur de blockbusters hollywoodiens) fut scalpé par un fauve.

Roar mérite de figurer au panthéon des excentricités filmiques. La folie et les dangers de ses prises de vues se devinent à l’écran, même si les accidents n’ont pas été conservés au montage – nous ne sommes pas dans un « mondo » voyeuriste et racoleur. C’est un régal pour les amoureux des gros félins, filmés ici sous toutes les coutures, et pour les amateurs de films au-delà du bon et du mauvais, capables d’offrir un spectacle hors du commun.

Tippi Hedren dans Roar de Noel Marshall

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7 commentaires

  1. Bertrand Marchal dit :

    Ce que vous racontez de cette aventure hors norme me met fort en appétit. J’ai commandé ce film à ma bibliothèque. Très curieux de voir ça!
    On pense à Werner Herzog, à ses délires hyperréalistes. Je pense notamment à son reportage sur le surfeur amoureux des Grizzlis…

    • Olivier Père dit :

      La différence est que Herzog est un cinéaste très intelligent qui sait ce qu’il fait quand il filme des fous qui le passionnent (Grizzly Man) tandis que Roar est un film réalisé par un fou, qui entraîne dans son délire toute une équipe technique et sa propre famille.

  2. Bertrand Marchal dit :

    Je viens de terminer la vision de cet incroyable film.

    Les mots me manquent. c’est un délire de dément. Il faut vraiment le voir pour le croire. On est si bien plongés au cœur d’une réalité sauvage où tout semble possible que la mort des deux chasseurs passe pour une péripétie de plus, tout aussi vraie que les autres.

    Je n’ai jamais vu un film aussi stressant!

    J’ignorais totalement ce lien quasi pathologique qui unissait la famille de Mélanie Griffith aux félins. On marche sur le fil rouge de la folie, et pourtant, on se dit aussi que la communication entre espèces est possible, que la barrière génétique ne sépare pas des groupes naturellement antagonistes (à partir du moment où ils sont bien nourris)

    Un film à voir! l’intérêt s’émousse un petit peu, au même rythme que les personnages se rendent compte qu’ils ne courent pas de risque mortel comme ils sympathisent avec les félins, mais à voir au moins pour les 20 premières minutes et une longue séquence où des acteurs se font vraiment prendre pour du gibier. C’est proprement hallucinant!

    Quel dommage que le dvd que j’ai vu ne contienne aucun suppléments.

  3. Bertrand Marchal dit :

    Ajoutons pour ceux qui hésitent que sur la photo, si c’est Tippi Hedren sur la lionne, c’est bien Mélanie Griffith dessous! A ce moment, elle court le risque de ne pas faire Cherry 2000 ni Body Double!

  4. Bertrand Marchal dit :

    Et un dernier mot en guise de léger correctif à votre bonne présentation du film: vous parlez d’amateurisme, or je ne trouve pas que la mise en scène soit si « amateur » que ça. Tout au long du film, j’ai au contraire souvent pensé que non seulement l’angle de caméra était judicieux, mais aussi que le caméraman, en plus de son héroïsme! arrivait à rendre sa présence invisible aux animaux: jamais un animal, dans le feu de l’action ou au repos ne semble se rendre compte de la caméra; une invisibilité qui non seulement place le film dans la catégorie des pures œuvres de fiction, mais aussi témoigne d’un vrai plan concerté et mûri de mise scène qui de surcroît reste suffisamment mobile pour réagir à l’imprévu.

    • Olivier Père dit :

      Noel Marshall était sans doute un réalisateur-scénariste-producteur amateur sinon il n’aurait pas signé un tel film. en revanche son équipe était constituée de techniciens aguerris et il bénéficiait d’un excellent directeur de la photographie Jan de Bont qui avait fait plusieurs films aux Pays-Bas avant celui-ci, dont Turkish Délices et Katie Tippel de Paul Verhoeven

  5. Bertrand Marchal dit :

    ah oui, le réal de Speed. Je n’avais pas fait attention à ça. Quelle aventure! J’aimerais pourvoir lire un compte rendu du making-of.

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