Olivier Père

Showgirls de Paul Verhoeven

ARTE diffuse Showgirls (1995) de Paul Verhoeven lundi 22 janvier à 20h55, en version restaurée.

Pourquoi au moment de leurs sorties la critique (française) a-t-elle crié au génie devant Starship Troopers et au navet devant Showgirls deux ans plus tôt, se contentant de répercuter les réactions horrifiées de l’industrie hollywoodienne, alors que les deux films se ressemblent et se valent ? Showgirls, remake trivial de Eve de Joseph L. Mankiewicz, pousse jusqu’à l’inacceptable le naturalisme de Verhoeven qui fouille dans les entrailles du spectacle américain. C’est sans aucun doute le film le plus européen et même flamand de Verhoeven réalisé aux Etats-Unis, en raison de sa dimension critique et surtout de l’adoption d’un style grotesque et hyperbolique qui s’étend jusqu’à la direction d’acteurs, et se révèle plus perturbant dans un contexte réaliste que dans l’univers de bande dessinée des films de science-fiction comme Robocop ou Total Recall.

Showgirls ressemble beaucoup à Spetters, film hollandais très provocateur de Verhoeven qui s’intéressait aux espoirs et aux rêves brisés de jeunes prolétaires. Dans Showgirls Verhoeven ose s’extraire des conventions des genres hollywoodiens qu’il avait empruntées dans ses films précédents pour signer une chronique et une étude de caractères, une satire féroce de la « success story » à l’américaine.

Showgirls exhibe les liens indissociables qui existent entre le sexe et l’argent, la prostitution et l’ascension professionnelle d’une jeune femme prête à tout pour réussir à Las Vegas, et qui croise une galerie de créatures monstrueuses, mais aussi des personnages attachants ou sympathiques qui finiront balayés ou broyés par le système. Verhoeven s’est toujours intéressé à des histoires de survie, à toutes les époques et dans tous les milieux, en étudiant le comportement d’individus (souvent des femmes) dans un monde cruel et sans morale.

Il est facile de comprendre pourquoi Showgirls a été aussi violemment rejeté par la presse et le public américains, alors que le film de Verhoeven est constamment drôle, effrayant, excitant, jamais ennuyeux et brillamment mis en scène. Certes le film est choquant à cause de sa représentation de la nudité et de l’acte sexuel, de son extrême crudité. Mais ce n’est pas la principale raison. Showgirls, à l’instar du Scarface de De Palma, renvoie à l’industrie hollywoodienne une image trop déplaisante et juste de ses mœurs et coutumes, un reflet non pas déformant mais grossissant. Au-delà de sa description hyperréaliste de la vie et du travail à Las Vegas, Showgirls offre une métaphore implacable de Hollywood, comme le laisse deviner le plan final, qui voit Nomi Malone (Elizabeth Berkley, photo en tête de texte) quitter Las Vegas au sommet de sa gloire pour Los Angeles, dans une scène symétrique à l’ouverture du film.

Gina Gershon dans Showgirls

Gina Gershon dans Showgirls de Paul Verhoeven

Gina Gershon dans Showgirls

Elizabeth Berkley dans Showgirls de Paul Verhoeven

 

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Un commentaire

  1. Bertrand Marchal dit :

    Très bon film que j’ai vu pour la première fois il y a quelques jours.

    Je ne comprends pas non plus les critiques français. Verhoeven a toujours fait dans l’hyperbole, l’excès, le burlesque, le grinçant, le violent. Même dans Black Book il y a des scènes grotesques qui sont destinée a déchirer le voile, tout simplement.

    Je crois, contrairement à vous, que le rejet américain est plus viscéral, il touche au sexe et à sa représentation, exclusivement. Ils ont voulu masquer leur gêne et leur crispation teintée d’hypocrisie religieuse en cherchant d’autres griefs, comme la direction d’acteur, alors qu’il sont tous excellents dans le registre que Vehoeven leur attribue.

    Les Américains qui font coucher leurs actrices en soutien-gorge sont d’incurables petits enfants maintenus dans l’immaturité par leur bigoterie.

    A ce titre, c’est amusant de constater que la période pré-code était en fait un vil réflexe commercial et ne dénotait en rien d’un esprit plus adulte, ou moins coincé, qui aurait, depuis, disparu : en 29, la crise oblige les studios à oser tous les excès; avec le parlant, le sexe devient un argument de vente. Puis, les clients étant revenus, on laisse les ligues de vertu reprendre le contrôle, et tout rentre dans l’ordre américain.

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