Olivier Père

I magliari de Francesco Rosi

Un « magliaro » désigne un vendeur ambulant de tissus, fournitures et autres vêtements de provenance douteuse, opérant à la sauvette dans les grandes villes. C’est le métier qu’exerce un groupe d’immigrés italiens, issus de diverses régions du pays, en Allemagne, à Hanovre puis à Hambourg. Parmi ces compagnons d’infortune, le Romain Totonno met à l’œuvre ses talents d’escroc à la petite semaine pour vendre ses marchandises à des Allemands qui n’en veulent pas. On imagine les potentialités comiques qu’un tel sujet aurait pu fournir à un réalisateur comme Dino Risi, d’autant que Totonno est interprété par Alberto Sordi, roi de la comédie italienne au bagout légendaire. Il y a d’ailleurs dans I magliari deux séquences très drôles. La première dans laquelle Sordi parvient à arnaquer une famille en deuil en faisant croire que le défunt lui avait commandé plusieurs rouleaux de tissus, la deuxième où il mime une chute pour convaincre une aubergiste de lui acheter des tapis. Mais Francesco Rosi, dont c’est le deuxième long métrage, choisit une autre direction que la comédie acide. Cet ancien assistant de Luchino Visconti sur La terre tremble s’intéresse davantage au caractère tragique de la condition de ces Italiens partis à l’étranger faire fortune, ou tout simplement essayer de survivre. Avant de réaliser ses fameux films dossiers, le napolitain Rosi s’intéresse déjà dans I magliari aux rapports entre le Nord et le Sud – thématique récurrente de son œuvre, au travers de destinées individuelles. Il est d’ailleurs tentant de faire un rapprochement entre I magliari et Rocco et ses frères, réalisés à un an d’intervalle. On retrouve la scénariste fétiche de Visconti Suso Cecchi d’Amico au générique du film de Rosi. Si Visconti parlait de l’immigration intérieure – une famille de méridionaux part travailler à Milan – Rosi traite de l’eldorado que représentait la RFA à la fin des années 50 pour les Italiens désargentés. Les deux films sont interprétés par Renato Salvatori – avec des rôles comparables – et constituent des sommets dans la carrière de cet excellent acteur. Dans I magliari Salvatori incarne Mario, un jeune immigré ingénu manipulé par Totonno qui l’invite à devenir vendeur ambulant comme lui. Si Rosi accorde une place essentielle à l’itinéraire moral du personnage de Mario, qui va vivre une aventure amoureuse avec la femme volage d’un riche industriel de Hambourg, il ne perd pas de vue le centre de son film, à savoir le groupe, la petite communauté que forme les « magliari ». Rosi étudie les rapports de force et de domination entre vendeurs, l’ambition de Totonno qui désire devenir indépendant et embarquer ses collègues à Hambourg pour y conquérir le marché, de manière imprudente. Le monde des vendeurs est une jungle où règne la loi du plus fort. Totonno est un mégalomane hâbleur, mais il ne possède pas la carrure d’un homme d’affaires, condamné à poursuivre ses arnaques minables malgré ses rêves de grandeur. Rosi aborde la question de la collectivité et de l’individualisme d’un point de vue politique. L’organisation de la société clandestine des vendeurs à la sauvette n’est pas sans connexion avec celle de la mafia. Un boss napolitain viendra remettre Totonno à sa place en lui expliquant que si on n’a pas les couilles et le portefeuille pour devenir chef, mieux vaut ne pas essayer. Deux ans avant son premier chef-d’œuvre Salvatore Giuliano, Rosi démontre au sein d’un long métrage plus traditionnel, d’une grande ambition et d’un formidable talent de cinéaste. Amateur de cinéma américain, Rosi donne parfois à son film des accents de film noir, avec une atmosphère nocturne, des décors urbains et même des scènes de combats de rue qui rappellent davantage les productions Warner que les drames sociaux italiens. Alberto Sordi pour une fois n’accapare pas tout l’écran. Il confirme l’étendue de son talent, dans un registre où le pathétique l’emporte sur la bouffonnerie.

 

I magliari (1959), également connu en France sous le titre Profession magliari, ressort le mercredi 23 août en version restaurée, distribué par Les Films du Camélia.

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