Olivier Père

À bord du Darjeeling Limited de Wes Anderson

ARTE diffuse À bord du Darjeeling Limited (The Darjeeling Limited, 2007) de Wes Anderson mercredi 25 janvier à 20h55.

Nouveau prodige du cinéma américain, au sein d’une génération qui compte dans ses rangs Sofia Coppola, Paul Thomas Anderson ou James Gray, Wes Anderson cultive son image de dandy texan et de cinéaste le mieux habillé du monde. Ses films, reconnaissables en un seul photogramme, témoignent d’une érudition et d’une culture tout terrain, puisant dans le meilleur de la musique et de la littérature mondiales, avec une cinéphilie encyclopédique non circonscrite au patrimoine hollywoodien. On aurait tort cependant de réduire Wes Anderson à un brillant illustrateur ou un miniaturiste maniaque. Son obsession de la symétrie, son fétichisme vestimentaire, ses afféteries visuelles comme la frontalité ou le ralenti révèlent une mélancolie non feinte et une réelle profondeur. Tout est affaire de style, et le style n’est pas l’ennemi du sens. Comme Coppola avant lui, Wes Anderson a un grand sujet, qui n’est pas son unique sujet (à Coppola non plus) : la famille et tout ce qui va avec (héritage, transmission, rivalité). À bord du Darjeeling Limited est l’histoire de la réunion de trois frères à l’occasion d’un improbable voyage spirituel en Inde, à bord d’un train de luxe. Leur père vient de mourir et les jeunes hommes affrontent les affres du deuil mais aussi de la masculinité : l’un vit avec angoisse l’arrivée prochaine de son premier fils, l’autre est un écrivain velléitaire et un séducteur impénitent, tandis que l’aîné peine à asseoir son autorité. Le voyage en train sera davantage initiatique que mystique, vers la réconciliation fraternelle. Le film cite la « screwball comedy » hollywoodienne et se déroule à un rythme effréné, porté par l’interprétation trépidante et virtuose de Adrien Brody, Owen Wilson et Jason Schwartzman, experts en élégance et complices excentriques du cinéaste. Mais À bord du Darjeeling Limited ne limite pas l’Inde à un décor de carte postale exotique, ou plutôt parvient par le biais de l’artifice et du décorum à une certaine vérité. Anderson ne joue pas les cinéastes parachutés en quête d’authenticité et ne prétend pas montrer la réalité indienne. Il adopte le point de vue du voyageur américain mais n’est pas pour autant ethnocentré, avec la création de personnages indiens qui loin d’être des faire-valoir existent pleinement au cœur du récit. Le film n’occulte pas non plus la violence de l’Inde et l’expérience de la tragédie avec l’accident mortel d’un petit villageois, lors du périple des trois frères. Ce scandale ontologique que représente la mort d’un enfant dans la pensée occidentale est appréhendé ici selon la philosophie indoue, avec comme horizon Le Fleuve de Jean Renoir, autre regard amoureux, moral et artistique d’un étranger sur l’Inde.

 

Pour voyager à travers l’œuvre en devenir et d’une parfaite cohérence de Wes Anderson (déjà huit longs métrages et autant de merveilles), on recommande le bel essai de Marc Cerisuelo qui s’adresse au cinéaste et lui déclare son admiration dans sa « Lettre à Wes Anderson » aux éditions Capricci.

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