Olivier Père

Spetters de Paul Verhoeven

Lorsqu’il réalise Spetters en 1980, Paul Verhoeven est le cinéaste vedette des Pays-Bas, couvert de lauriers depuis les triomphes commerciaux et critiques de ses films précédents et en particulier Soldier of Orange (1977), vaste fresque historique sur la résistance et la collaboration néerlandaises pendant le Seconde Guerre mondiale. Avec Spetters, Verhoeven et son scénariste Gerard Soeteman choisissent de revenir à la réalité contemporaine et de s’intéresser à la jeunesse et aux classes populaires de leur pays. Les personnages de Spetters sont issus du prolétariat ou des marges de la société. Verhoeven entend décrire les espoirs et les désillusions de trois amis passionnés par le moto-cross, portés par des rêves de gloire, de sexe et d’argent facile. Le film sera un succès public mais provoquera un énorme scandale dans la presse et l’industrie du cinéma national, couvrant son réalisateur d’opprobre. Verhoeven sera accusé de pornographie, d’homophobie, de misogynie, de haine envers les handicapés – un des jeunes se suicide après un accident de moto qui le laisse paraplégique – et j’en passe. Fidèle à son esprit provocateur mais aussi à son regard perçant, Verhoeven dépeint des caractères étouffés par le poids de la religion, de la morale et du mépris de classe. Verhoeven bouscule les conventions pour atteindre à la vérité aux travers de révélations brutales et d’accidents du destin : le garçon macho découvre son homosexualité de la plus violente manière, le champion finit en fauteuil roulant et le vilain canard du trio gagnera le cœur de la fille sexy et ambitieuse. Verhoeven frappe juste et fort, comme il le fera quinze ans plus tard aux Etats-Unis avec Showgirls, film très comparable à Spetters. Leur réception désastreuse contrariera la suite de la carrière de Verhoeven, mais surtout les deux films constituent des sommets du style naturaliste, excessif et agressif du cinéaste. Verhoeven réalise des fables qui sont aussi des charges satiriques sur les aspects les moins reluisants de notre époque. Spetters et Showgirls sont des histoires d’arrivisme et d’ambition sociale contrariée, de lutte pour la survie dans un monde sans pitié. Les trois jeunes pensent que les compétitions de motos leur permettront de gravir les échelons de la société, de devenir riches et célèbres. Ils échoueront par malchance, manque de talent ou névrose, humiliés par plus riches ou plus puissants qu’eux. La fille qu’ils courtisent, vendeuse dans une baraque à frites, est prête à tout pour fuir un quotidien minable. C’est une combattante opportuniste et sans scrupules, assez représentative des personnages féminins mis en scène par Verhoeven dans ses films, toujours plus fortes et intelligentes que les hommes. Le cinéma de Verhoeven, trivial jusqu’à la démesure, ne se départit jamais d’une extraordinaire énergie vitale qui transcende son pessimisme. Par son esthétique crasseuse, son sublime mauvais goût et ses provocations tous azimuts Spetters aurait pu être le grand manifeste punk du cinéma du début des années 80, avec Out of the Blue (1980) de Dennis Hopper et Videodrome (1983) de David Cronenberg, autres films géniaux. Mais Spetters est résolument du côté de la survie, pas de l’autodestruction. Le futur existe, sans doute aussi merdique que le présent.

 

Spetters est enfin disponible en DVD en France depuis cet été, dans une version restaurée et intégrale – des images homosexuelles explicites n’avaient pas échappées à la censure de l’époque – aux éditions BQHL.

Renée Soutendijk dans Spetters

Renée Soutendijk dans Spetters de Paul Verhoeven

Catégories : Actualités

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