Olivier Père

Visite ou Mémoires et Confessions de Manoel de Oliveira

Epicentre sort en salles mercredi 5 avril Visite ou Mémoires et Confessions (Visita ou Memórias e Confissões) de Manoel de Oliveira. Réalisé entre 1981 et 1982, ce long métrage de 70 minutes fut conçu par le cinéaste portugais, alors âgé de 73 ans, comme un testament cinématographique, destiné à n’être visible qu’après sa mort. Précieusement conservé à l’abri des regards dans les archives de la Cinémathèque portugaise, cet essai posthume a du attendre 33 ans pour être enfin projeté en public, 25 films de Oliveira (sans compter les courts et moyens métrages) plus tard, ce que personne n’aurait pu prévoir.

Visite ou Mémoires et Confessions nous permet de retrouver Oliveira à une époque charnière de sa vie : il n’a tourné que six longs métrages, qui permettent déjà de le considérer comme un auteur majeur de son siècle, mais il ne bénéficie pas encore d’une reconnaissance extraordinaire. Rétrospectivement, on peut considérer que Acte de printemps, Le Passé et le Présent, Bénilde ou la Vierge mère, Amour de perdition et Francisca sont des chefs-d’œuvre, sans aucun doute parmi les plus beaux films du cinéaste, mais peu de gens le savent – un texte critique de Serge Daney sur Francisca, publié dans Libération, saluera l’importance et le génie de Oliveira. Ce sera le point de départ de la seconde partie de carrière, longue et prolifique, du cinéaste, sous l’impulsion du jeune producteur Paulo Branco, avec le soutien de la France.

Oliveira exprime dans Visite ou Mémoires et Confessions sa passion dévorante pour son art, le cinématographie est le moteur de son existence, mais il évoque aussi les dettes et problèmes financiers – Oliveira hérita d’une usine textile de son père et ses affaires périclitèrent – qui l’obligent à se séparer d’une vaste demeure bâtie dans les années 40 à Porto par un architecte influencé par l’école française, et dans laquelle il habitat pendant près de quarante ans avec sa femme et sa famille. Chargée de souvenirs, lieu de travail et de vie, cette maison est un lieu hanté – par les voix de Teresa Madruga et Diogo Doria qui disent un texte magnifique écrit par Augustina Bessa-Luis, les images de films de famille que se (nous) projette Oliveira au gré de ses confessions, mais aussi le corps de Oliveira, devenu par la force des choses un fantôme dans le temps présent de la projection différée de Visite ou Mémoires et Confessions. Les plans désertés de la figure humaine où la caméra déambule dans la demeure labyrinthique, emplie d’objets, de photos et de tableaux rappellent l’importance de la maison dans l’œuvre de Oliveira, passée et à venir, décor à la fois mental et chargé de vestiges matériels, alternent avec des séquences où Oliveira s’adresse à la caméra. Souvenirs, confessions et confidences. Le cinéaste évoque son roman familial, son parcours d’enfant gâté de la grande bourgeoisie lusitanienne, son éducation catholique, quelques considérations métaphysiques, son obsession de la pureté et sa relation fusionnelle avec sa femme Maria Isabel : le film lui est dédié, et elle a apparaît le temps d’une belle séquence dans un jardin de fleurs pour s’exprimer sur son couple et son soutien indéfectible à son mari dans les moments difficiles. Dans cet essai poétique et minimaliste Oliveira ne s’interdit rien, comme à son habitude, pas même un embryon de reconstitution historique lorsque le cinéaste revient sur ses déboires avec la dictature de Salazar et sa brève incarcération. Une traction avant et des sbires en costumes rétro suffisent à raviver des souvenirs douloureux, dans une séquence en rupture du reste du film.

Il n’y avait que Manoel de Oliveira pour continuer à nous envoûter avec un film inédit même après sa mort, que nous découvrons en 2016 avec une grande émotion. Cas unique dans l’histoire du cinéma, conçu dans un mélange de pudeur, d’orgueil et de malice, Visite ou Mémoires et Confessions est un film superbe échappé des limbes, sur l’idée même de mémoire et de transmission, sur ce qui reste et ce qui disparaît, sur le corps et l’esprit.

 

 

 

 

 

 

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