Olivier Père

La Ville abandonnée de William A. Wellman et L’Or de MacKenna de Jack Lee Thompson

Sidonis propose une nouvelle salve de westerns américains, appartenant à des courants et époques diverses, qui démontre la richesse et les diverses transformations du genre. Deux titres récemment édités en blu-ray par Sidonis, qui partagent au moins la même vedette et le même directeur de la photographie, et un sujet assez similaire, ce n’est pas rien, illustrent à la perfection la grandeur et la décadence du western, avec des métamorphoses et des influences esthétiques opposées à seulement vingt ans d’intervalle.

La Ville abandonnée (Yellow Sky, 1949, photo en tête de texte) est un chef-d’œuvre absolu du western classique, et l’un des meilleurs films de William A. Wellman, réalisateur dont il faut louer la sobriété, la rigueur et le sens de l’action. Véritable film noir transposé dans une bourgade fantôme perdue dans la Vallée de la Mort, La Ville abandonnée bénéficie d’un sublime noir et blanc crépusculaire (signée Joseph MacDonald) qui magnifie la photogénie du désert. Wellman était un véritable rebelle, un aventurier du cinéma. On sent que La Ville abandonnée a été conçu comme un véritable défi technique et humain, une épreuve à surmonter pour les comédiens et l’équipe. Le spectateur peut aisément imaginer le calvaire qui représenta le tournage des séquences inaugurales dans le désert de sel de la Vallée de la Mort, sous une chaleur infernale. Ces séquences sont inoubliables, et donnent lieu à des images extraordinaires, où les silhouettes des hors-la-loi se découpent sur l’immensité de paysages arides. La suite du récit, dans une ville fantôme uniquement habitée par un vieux prospecteur d’or et sa petite-fille, se révélera à la hauteur de ce début fulgurant.

Gregory Peck dans La Ville abandonnée

Gregory Peck dans La Ville abandonnée

Film au dépouillement tragique, La Ville abandonnée propose une réflexion morale sur l’avidité et le lucre. La violence est suggérée, la part du hors champ ou de l’ellipse est exceptionnelle, significative de l’art du cinéaste qui ne sacrifiait jamais au spectaculaire mais savait instaurer une tension exceptionnelle par le cadre, la durée des plans et le montage. Gregory Peck, toujours aussi beau, y affronte son ancien complice Richard Widmark, parfait comme d’habitude en crapule vicieuse, sous le regard amoureux d’Anne Baxter. Ce personnage de garçon manqué, qui manie la carabine et donne le coup de poing comme un homme, magnifiquement interprété par Anne Baxter, ouvre une dimension non négligeable dans La Ville abandonnée : celle de la circulation du désir, de l’éveil à la sensualité et à la féminité d’une jeune femme vivant loin de la société, de la naissance de l’amour entre une fille sauvage et un desperado sur le chemin de la rédemption.

 

Vingt ans plus tard arrive sur les écrans L’Or de MacKenna (Mackenna’s Gold, 1969), nouvelle histoire de fièvre de l’or qui s’empare d’un groupe d’aventuriers. Le nom de Gregory Peck est toujours en haut de l’affiche.

Mais c’est tout le contraire de La Ville abandonnée.

L’action est dégraissée chez Wellman, elle est diluée chez Jack Lee Thompson, touche-à-tout britannique propulsé à la tête de superproductions à grand spectacle après le succès commercial des Canons de Navarone, mais qui n’avait jamais réalisé de western auparavant. Tandis que Wellman va à l’essentiel, Jack Lee Thompson choisit le pittoresque, multiplie les effets et signe un western barnum, très représentatif d’un cinéma hollywoodien fin de race qui croit trouver dans le gigantisme, une inflation délirante, la réponse aux agressions des productions indépendantes à petit budget, plus en phase avec les goûts du public. Incroyable mais vrai, L’Or de MacKenna est sorti la même année que Easy Rider et Macadam Cow-boy, ou que La Horde sauvage pour rester dans le genre qui nous intéresse. Davantage qu’un western traditionnel – et même crépusculaire – L’Or de MacKenna a été pensé avant tout comme la plus grosse superproduction de l’année, tourné en 70 mm Super Panavision, avec une pléiade de vedettes internationales – certaines n’apparaissent que le temps d’une scène. Il s’agit d’en mettre plein la vue sur un écran gigantesque.

Le résultat est suffisamment étrange, dans sa démesure et son hétérogénéité, pour que notre patience soit récompensée – le film dure plus de deux heures, à partir d’un montage original de trois heures, ce qui laisse pas mal de béances dans le récit, déjà assez biscornu. Le film abonde en détails et en partis-pris bizarres, à l’image de cette séquence d’introduction constituée de prises de vues aériennes des paysages grandioses de Glen Canyon dans l’Utah et l’Arizona, et aussi Monument Valley, Utah. Hawks filmait à hauteur d’hommes, Ford filmait les cavaliers défilant dans Monument Valley, Jack Lee Thompson adopte le point de vue d’un vautour, avec un gros plan saisissant de l’œil du volatile en amorce de la séquence. Tout ceci annonce La Géode.

Gregory Peck dans L'Or de MacKenna

Gregory Peck dans L’Or de MacKenna

La beauté de paysages naturels désertiques tranche avec l’usage maladroit et insistant de transparences, y compris dans les champs contrechamps. Une grande partie du film est tourné en studios, avec des décors de grotte en carton pâte et une piscine maquillée en point d’eau, comme au bon vieux temps des péplums des années 50. Le film prend la forme d’une fable indienne avec une voix off surplombante et un commentaire musical. Il faut attendre le dénouement pour assister à un spectacle complètement fou avec de nombreuses perspectives truquées, des images irisées et gelées, ou déformées par le grand angulaire. Ce déluge d’images psychédéliques et pompières nous incite à penser que L’Or de MacKenna doit davantage au récit d’aventures mythiques, voire à la science-fiction, qu’au western. Ce genre, habitué aux dégradations parodiques, a rarement connu d’illustration aussi déconcertante. L’Or de MacKenna s’achève en film catastrophe, par un tremblement de terre qui détruit toute une vallée, avec de nombreux effets spéciaux optiques et peintures sur verre. Finalement, L’Or de MacKenna est un spectacle pop, à l’extravagance typique de la fin des années 60, plus proche de La Planète des singes que de n’importe quel western classique.

Il s’agit du dernier travail du grand directeur de la photographie Joseph MacDonald (La Ville abandonnée, La Poursuite infernale et de nombreux classiques hollywoodiens) qui décéda avant la sortie du film. Nous sommes loin de l’élégant noir et blanc des chefs-d’œuvre de Wellman ou Ford, ou du superbe Technicolor du Niagara de Hathaway, mais MacDonald termine sa carrière sur un véritable feu d’artifices.

 

Profitons de l’occasion pour saluer l’édition d’un énorme coffret consacré au western par l’enthousiaste société Sidonis qui fête son dixième anniversaire. Pas moins de 30 DVD (classiques, raretés et séries B), un jeu de photos d’exploitation, et une encyclopédie du western en deux volumes par Patrick Brion. Une somme pour tout savoir sur le western américain, avec des titres essentiels (et quelques pépites) extraits du catalogue Sidonis.

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2 commentaires

  1. Novi michel dit :

    J ai vu ce film à Marseille en 1966. Je venais de voir L’homme qui tua Liberty Valance, film en noir et blanc, et je n’ai pas compris que La ville abandonnée était un fil de… 1948. Sa facture d’épure tragique me l’avait fait prendre pour un film « moderne ». Il est possible que ce cinéma marseillais ait été un cinéma d’art et essai.

  2. Olivier Père dit :

    Mais c’est vrai que LA VILLE ABANDONNÉE est un film très moderne, même aujourd’hui ! (comme certains films de Fuller ou Mann)

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