Olivier Père

Midnight Special de Jeff Nichols

Très attendu et longtemps entouré du plus grand secret, Midnight Special (sortie le 16 mars) déçoit. Le jeune réalisateur américain Jeff Nichols bénéficie en France d’une cote d’amour critique non négligeable conquise grâce à ses trois films précédents qui étaient des réussites croissantes. Shotgun Stories, Take Shelter, Mud, ancrés dans un paysage rural, portés par des personnages déjantés ou charismatiques, ont vite imposé Nichols en nouveau barde de l’Amérique profonde et des états du sud du pays, fils spirituel de Terrence Malick et de Elia Kazan, wonder boy de ce qui reste du cinéma indépendant américain. Midnight Special, incursion dans la science-fiction, nous invite à freiner notre enthousiasme. Midnight Special est un road movie dont l’action débute au Nouveau-Mexique et se poursuit au Texas, en Louisiane, dans le Mississippi et l’Alabama en direction d’un lieu bien spécifique situé en Floride. Certaines scènes ont été tournées dans ces états mais la plupart des prises de vues ont été filmées à la Nouvelle-Orléans et dans de petites villes de la région. Le film démarre plutôt bien. Fuyant d’abord des fanatiques religieux et des forces de police, Roy, père de famille et son fils Alton, accompagnés d’un ami texan à gros bras et lourdement armé, se retrouvent bientôt les proies d’une chasse à l’homme à travers tout le pays, mobilisant même les plus hautes instances du gouvernement fédéral. On découvre bientôt que le petit garçon, les yeux couverts de lunettes, est doté de pouvoirs surnaturels, sans que l’on comprenne tout de suite s’il s’agit d’une malédiction ou d’un don messianique. Dans cette folle cavale le père risque tout pour sauver son fils et lui permettre d’accomplir son destin.

Midnight Special est un film de poursuite sur les routes américaines, dans des paysages successivement grandioses et banals, bien que Nichols privilégie ce deuxième aspect. La référence directe de Midnight Special, du propre aveu de Jeff Nichols, est Starman (1984) de John Carpenter, superbe mélodrame de science-fiction dans lequel une jeune veuve devait accompagner un extraterrestre qui avait emprunté l’enveloppe physique de son défunt mari jusqu’à un point de ralliement lui permettant de repartir dans l’espace, sous peine de mourir, inadapté à un trop long séjour sur notre planète. Le kidnapping débouchait sur une bouleversante histoire d’amour, variation poétique sur le thème de la seconde chance. Karen Allen et Jeff Bridges étaient fabuleux. On a revu le film récemment, il tient la route, évoque les amants en fuite de Nicholas Ray et renoue avec le meilleur du cinéma classique hollywoodien sous son apparence de « comic book » pour fans de SF.

Dans Midnight Special le gamin aux pouvoirs destructeurs vaguement messianiques et son père protecteur traqués par le FBI rappellent aussi Firestarter, un autre road movie de science-fiction typique des années 80, adapté d’un roman de Stephen King mais inférieur aux films de John Carpenter – qui devait à l’origine le mettre aussi en scène.

Kirsten Dunst et Michael Shannon dans Midnight Special

Kirsten Dunst et Michael Shannon dans Midnight Special

Dans ses intentions, Jeff Nichols lorgne vers le cinéma de John Carpenter quand ce dernier était au sommet de sa forme. On imagine sans peine que Nichols, adolescent dans les années 80, a construit sa cinéphilie devant les films du réalisateur de The Thing, ceux produits et réalisés par Steven Spielberg (on pense aussi à Rencontres du troisième type) et quelques autres. Ecran large, musique synthétique, tournage en 35mm… Nichols est proche du fétichisme nostalgique et mimétique d’un J.J. Abrams, même si le cinéaste de l’Arkansas travaille une matière moins divertissante et plus profonde, s’investit de manière plus intime dans l’histoire qu’il raconte – l’expérience pénible d’un enfant malade aurait participé à la genèse du projet. Comme dans ses films précédents Nichols parle de la relation père fils, de figures paternelles névrosées à la fois angoissantes et surprotectrices. Nichols retrouve son acteur fétiche Michael Shannon, présents dans tous ses films, et il faut reconnaître que Shannon finit par nous ennuyer avec son jeu monotone et guère subtil qu’il reproduit de film en film. Kirsten Dunst n’est pas au meilleur de sa forme non plus, grossièrement enlaidie en mère éplorée. Après un impressionnante scène d’ouverture de fuite nocturne sur une route de campagne, tous phares éteints, Nichols ne se montre pas à la hauteur de ses références cinéphiliques en matière de sens du cadre et de l’espace. Le film est plat, peu spectaculaire. Midnight Special a surtout le défaut d’être lourd, surligné, et de se prendre très au sérieux. L’ironie déployée par Adam Driver en agent décontracté du gouvernement – là encore, un personnage qui descend en droite ligne de ceux interprétés par Richard Dreyfuss dans les films de Spielberg ou Charles Martin Smith dans Starman – tombe à plat. Midnight Special est pesant, manque de grâce et d’idées. Ses effets spéciaux sont ratés, symbolique d’un tentative de greffe entre un film d’auteur et une production de studio qui ne prend jamais. Malgré son sujet Midnight Special ne dégage aucune émotion, et ne génère pas beaucoup de suspens. On espère que Jeff Nichols effacera cette déconvenue avec son prochain film, déjà tourné, Loving, drame social sur l’histoire vraie d’un couple mixte condamné à l’exil en Virginie en 1958.

 

 

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