Olivier Père

L’Aveu de Costa-Gavras

 ARTE diffuse L’Aveu (1970) mercredi 10 février à 20h55 dans le cadre de son hommage à Costa-Gavras. Le film sera également disponible en télévision de rattrapage sur ARTE+7.

Le film de Costa-Gavras est une adaptation par l’écrivain et scénariste Jorge Semprún de L’Aveu, récit autobiographique de Artur London publié en 1968 en France, retraçant le Procès de Prague de 1952 où quatorze personnes parmi lesquelles London furent accusées de « conspiration contre l’état » et condamnées à mort ou à perpétuité après des aveux arrachés sous la torture. L’Aveu devint au début des années 70 le film emblématique du procès (tardif) du stalinisme qui avait séduit de nombreux intellectuels occidentaux dans les années 50 avant qu’on ne découvre le goulag, les assassinats politiques et l’antisémitisme des régimes du bloc communiste. Film à thèse au retentissement exceptionnel dans le monde entier, L’Aveu se caractérise aussi par ses qualités cinématographiques, et une écriture plus subtile qu’il n’y parait. Costa-Gavras y retrouve une partie de la talentueuse équipe de Z, parmi lesquels la monteuse Françoise Bonnot et le directeur de la photographie Raoul Coutard, mais les deux films sont diamétralement opposés. Au rythme effréné, au style reportage caméra à l’épaule et à la lumière écrasante de Z succède l’atmosphère expressionniste, claustrophobe et kafkaïenne de L’Aveu. Z était un récit choral gorgé de soleil jusqu’à l’hallucination, L’Aveu baigne dans des ténèbres cauchemardesques, centré sur un seul homme, injustement enfermé et persécuté. Dans sa première heure le film montre l’arrestation puis les interrogatoires du vice ministre des affaires étrangères tchèque accusé d’espionnage avec certains de ses anciens camarades des brigades internationales. Puis soudain, avant que ne commence le procès, L’Aveu devient l’histoire d’un homme qui se souvient. Déjà des images d’archives représentant les souvenirs de guerre liés à la victoire du communisme introduisaient dès l’incarcération de London une dimension mentale au film. Souvenirs trompeurs puisque ces images provenaient pour la plupart de montages de propagande stalinienne caractéristiques de la manipulation profonde d’un imaginaire collectif et intime. Sur le plan narratif L’Aveu se brise à un moment précis, lorsque le vice-ministre s’évanouit dans une flaque de sa cellule après un interrogatoire musclé. Au fond du trou le politicien se raccroche à son amour de la Mer Méditerranée pour ne pas sombrer. La tache d’humidité appelle un souvenir mais surtout une projection dans le futur (« flash forward ») : un fondu enchaîné visuel et sonore raccorde sur des vagues se brisant sur une plage. Le spectateur se retrouve quatorze ans plus tard sur la Côte d’Azur où London discute tranquillement à une terrasse avec des journalistes au sujet de son expérience dans les geôles tchèques, dont il vient de tirer un livre, L’Aveu. Le film peut alors continuer, jusqu’à sa conclusion désespérée – l’arrivée des chars soviétiques venus écraser le Printemps de Prague.

Ces ruptures dans la narration linéaire appartiennent au style des premiers films politiques de Costa-Gavras (après Z et avant Etat de siège) mais renvoient aussi à une certaine modernité cinématographique et littéraire. Lorsque le récit de London reprend avec une voix off, une incertitude au sujet d’un détail (la marque et la couleur de la voiture des policiers) est illustrée à l’écran par un effet de montage. L’Aveu ne partage pas seulement avec les cinéastes de la « Rive Gauche » la même trajectoire idéologique. Il faut souligner – peut-être pour la première fois – le compagnonnage du film de Costa-Gavras avec les voyages spatio-temporels de Alain Resnais (qui réalise en 1966 La guerre est finie avec Yves Montand, scénario de Semprún) et de Chris Marker (photographe de plateau sur L’Aveu, ami de Montand et de Signoret).

 

 

 

 

 

 

 

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