Olivier Père

3 Hommes à abattre de Jacques Deray

Pathé a réédité en blu-ray deux polars des années 80 interprétés par Alain Delon. La star française débute la décennie avec un retour au cinéma policier qui lui a souvent réussi. Delon vient d’enchaîner les échecs critiques et commerciaux et son dernier succès au box office remonte à Mort d’un pourri de Georges Lautner en 1977, thriller politique dont on a dit du bien sur ce blog. C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleurs soupes et Delon, après quelques choix hasardeux – un « toubib » de sinistre mémoire, un ahurissant nanar catastrophe où il pilote le Concorde et l’étrange Attention, les enfants regardent – souhaite reconquérir son public avec une salve de polars tricolores. Ce sera d’abord 3 Hommes à abattre (1980) et c’est Jacques Deray qui s’y colle. Delon producteur et acteur avait déjà fait appel au réalisateur de La Piscine pour les deux Borsalino et Le Gang.

La surprise majeure de 3 Hommes à abattre provient de sa source littéraire. Pourquoi Delon est-il allé s’enticher des séries noires de Jean-Patrick Manchette, brillant styliste du néo polar français sous forte influence situationniste ? Le cinéma a raté Manchette – à l’exception du sous-estimé Nada de Claude Chabrol. Force est de constater que Delon et ses complices (ici Deray et Christopher Frank) ont copieusement trahi l’écrivain le temps de trois adaptations cinématographiques commises coup sur coup. C’est Delon réalisateur qui s’en sortira le mieux avec Pour la peau d’un flic.

3 Hommes à abattre est donc une lecture (trop) libre du Petit Bleu de la côte ouest publié en 1976 dans la collection « Série Noire » chez Gallimard. Gerfaut, l’antihéros du roman, est un cadre commercial, paisible père de famille, mêlé accidentellement à une sombre histoire de meurtres. Dans le film Gerfaut (Delon) est un joueur de poker solitaire, sans attaches sociales ou humaines hormis une relation sentimentale avec une pin-up italienne (joué par la très décorative Dalila Di Lazzaro). Cette aventure mortelle était chez Manchette un prétexte pour montrer un homme aliéné qui fuit une condition sociale frustrante (le fameux « malaise des cadres » des années Giscard) et choisit de s’embarquer dans une cavale sans issue, une quête de liberté forcément déceptive et médiocre, noyée dans les vapeurs de l’alcool. Dans le film les considérations sarcastiques de Manchette sur la politique et la société françaises sont éliminées au profit d’une assez banale course-poursuite entre Delon et des tueurs à ses trousses, sur fond d’espionnage industriel ourdi par un grand patron d’extrême droite. Il n’empêche que 3 Hommes à abattre demeure l’un des derniers bons polars à la gloire de Delon tout puissant, producteur acteur et coscénariste. Deray lorgne du côté du thriller américain, sans se rendre compte qu’il est plus proche des polars brutaux produits au kilomètre par les artisans du cinéma d’action italien – c’est plutôt un compliment. Si l’intrigue est parfois poussive les scènes d’action sont rondement menées et le film se caractérise par sa violence sèche et parfois choquante, reliquat de la prose de Manchette à l’écran. Ainsi l’exécution d’un ami de Gerfaut au travers de l’œilleton d’une porte a-t-elle marqué les esprits, comme le sang qui éclabousse un miroir après une balle tirée à bout portant dans la tête d’un des tueurs. L’épilogue du film, différent du carnage final imaginé par Manchette offre sa modeste – mais glaçante – contribution à la mythologie cinématographique de Delon, figure tragique rattrapée par la mort. Tout ça se regarde, mais dans le registre énervé et ultraviolent on préfèrera toujours Delon dans Big Guns (Tony Arzenta, 1973) de Duccio Tessari.

Demain on vous parlera de Pour la peau d’un flic, première réalisation d’Alain Delon.

 

 

 

 

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