Olivier Père

Marius de Alexandre Korda

Mission a ressorti en salles mercredi 9 décembre Marius (1931) de Alexandre Korda, premier volet de la Trilogie marseillaise de Marcel Pagnol. Les trois films, invisibles au cinéma depuis longtemps, ont bénéficié d’une superbe restauration numérique en 4K*, et pourront être ainsi redécouverts dans des versions inédites avec des montages plus long.

Fanny sera distribué le 23 décembre, et Marius le 30. L’occasion rêvée de revoir ces chefs-d’œuvre sur grand écran pendant les fêtes de fin d’année, en attendant leur diffusion sur ARTE et leur édition en DVD l’année prochaine. Les trois films seront également disponibles en télévision de rattrapage sur ARTE+7.

 

« L’accent ne constitue pas, chez Pagnol, un accessoire pittoresque, une note de couleur locale, il est consubstantiel au texte et, par là, aux personnages. Ses héros le possèdent comme d’autres ont la peau noire. L’accent est la matière même de leur langage, son réalisme. Aussi, le cinéma de Pagnol est tout le contraire de théâtral, il s’insère par l’intermédiaire du verbe dans la spécificité réaliste du cinéma. Pagnol n’est pas un auteur dramatique converti au cinéma, mais l’un des plus grands auteurs de films parlants. »

(André Bazin, 1953)

 

 

Marius c’est d’abord l’un des plus grands succès du théâtre français, créé au Théâtre de Paris en 1929. Mais contrairement aux idées reçues et aux virulentes critiques adressées par la presse et la profession à Marcel Pagnol dans les années 30, Marius (le film) n’est pas du théâtre en conserve. Avant tout le monde en France l’homme de lettres Pagnol a eu l’intelligence de comprendre les enjeux esthétiques du cinéma parlant, en phase de devenir un art totalement nouveau et indépendant à la fois du théâtre et des films muets. Il s’est enthousiasmé pour le premier long métrage entièrement sonore, la comédie musicale américaine Broadway Melody découverte à Londres, et a immédiatement perçu les potentialités du cinéma sonore, objet du mépris des cinéastes prestigieux comme Jean Epstein ou René Clair et des intellectuels. Le dramaturge allait pouvoir grâce à ce nouveau procédé immortaliser ses créations et accroitre son public certes, mais surtout atteindre un degré inédit de réalisme, dans la psychologie et l’expression de ses personnages, incarnés par des acteurs fabuleux, Raimu en tête mais aussi Pierre Fresnay (photo en tête de texte), Oriane Demazis et Fernand Charpin. Ainsi Marius s’impose dès sa sortie triomphale comme le premier grand film parlant français. Malgré l’admiration immédiate de Jean Renoir et du grand public il faudra attendre les textes élogieux d’André Bazin dans les années 50 et des jeunes Turcs de la future Nouvelle Vague qui lui consacreront un numéro spécial des Cahiers du Cinéma pour que la critique finisse par admettre l’importance de Pagnol cinéaste.

 

C’est donc Pagnol qui a porté le projet d’une adaptation cinématographique de sa pièce, avec le soutien de Robert Kane et des studios Paramount qui produisent le film. Pagnol participe de très près à toutes les étapes de la fabrication de Marius, même si les producteurs préfèrent en confier la mise en scène à un réalisateur chevronné, le Hongrois Alexandre Korda qui a exercé ses multiples talents un peu partout en Europe depuis les années 10 et surtout en Angleterre et à Hollywood. Pas une décision ne sera prise sans l’assentiment de Pagnol mais Korda ne sera pas qu’un simple exécutant. L’entente entre les deux hommes sera parfaite, leur savoir complémentaire et Marius demeure le film le mieux réalisé de la Trilogie.

 

Puissance de la parole, grandeur des dialogues.

 

Si pour Pagnol le cinéma est un art sonore, c’est avant tout un art de l’enregistrement de la parole – Pagnol filmait ses propres films « à l’oreille », enfermé dans le camion de l’ingénieur du son. Cette jouissance du verbe s’exprime par des joutes oratoires enflammées, des conversations de bistrot qui basculent dans l’épopée ou au contraire des confessions murmurées, sanglotées dans l’intimité d’une cuisine ou d’une chambre. Dans Marius le public retiendra les disputes d’amour entre un père et son fils, les dialogues hilarants de la scène « des quatre tiers » et puis bien sûr LA scène : Marius contient la plus fameuse partie de cartes de l’histoire du cinéma, où s’exprime toute la faconde méridionale des personnages de la Trilogie, entre César et ses amis habitués du Bar de la Marine, Panisse, Escartefigue et leurs souffre-douleur le lyonnais Monsieur Brun. Or ce morceau de bravoure avait été coupé de la pièce originale par Pagnol qui trouvait la scène trop vulgaire pour un grand théâtre parisien et il faudra l’insistance de ses comédiens lors des répétitions pour que l’auteur la rétablisse et la conserve à la scène et à l’écran : cette absence aurait très certainement « fendu le cœur » à tous les spectateurs !

Pour les Marseillais, Marius c’est « le » film par excellence, et pour tous les autres Marius c’est Marseille. Depuis le succès populaire de la Trilogie au cinéma puis à la télévision beaucoup de Méridionaux emploient les expressions imagées des personnages de Pagnol. On ne sait plus si les films s’inspirent de la façon de parler des Marseillais ou l’inverse. Vraisemblablement les deux. Le génie de Marius est de contenir l’âme et la poésie de toute une ville sans même avoir besoin d’aérer l’action et de montrer beaucoup d’extérieurs. Il suffit d’une poignée de personnages hauts en couleurs et de coins de décors d’un café et des quais du vieux port pour donner vie à la Cité phocéenne et à ses habitants, avec leurs exagérations, leurs caractères et leur goût de la galéjade.

Inutile de préciser que ce folklore marseillais tend à l’universalité et que le public du monde entier s’est passionné pour cette histoire de famille et pour le destin du jeune Marius déchiré entre ses rêves de voyages, son sens du devoir filial et son amour pour la belle Fanny.

 

Nous reviendrons sur Fanny et César à l’occasion de leurs ressorties en salles.

 

* Marius a été restauré en 2015 par la Compagnie méditerranéenne de film – MPC et La Cinémathèque française, avec le soutien du CNC, du Fonds Culturel Franco-Américain DGA-MPA-SACEM- WGAW, le concours d’ARTE France Unité Cinéma et des Archives Audiovisuelles de Monaco, avec la participation de la SOGEDA Monaco.

La restauration a été supervisée par Nicolas Pagnol et Hervé Pichard (La Cinémathèque française). Les travaux ont été réalisés par le laboratoire DIGIMAGE. L’étalonnage a été mené par Guillaume Schiffman.

Fanny de Marc Allégret (1932) et César de Marcel Pagnol (1936) qui complètent la Trilogie marseillaise ont également fait l’objet d’une restauration en 2015.

 

Marius, Fanny et César seront diffusés en version restaurée full HD sur ARTE le lundi 18 et le mercredi 20 janvier 2016.

 

 

 

Catégories : Actualités · Sur ARTE

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