Olivier Père

Cape et Poignard de Fritz Lang

Swashbuckler Films a réédité en salles Cape et Poignard (Cloak and Dagger, 1946) le mercredi 5 août. Film réputé mineur dans la carrière de Fritz Lang, mais cette notion est toute relative quand on parle d’un des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma. Et film passionnant par bien des aspects. Cape et Poignard est le dernier des quatre longs métrages antinazis réalisés par Lang entre 1941 et 1946. Il n’atteint pas le génie de Chasse à l’homme ou des Bourreaux meurent aussi, en raison d’un scénario plus conventionnel, d’une interprétation inégale – le personnage et le jeu de Lilli Palmer dans son premier film hollywoodien sont contestables – mais surtout des interventions de la Warner qui coupa la fin originale tournée par Lang et qui contenait le message que le cinéaste voulait faire passer au sujet de la bombe atomique. Car Cape et Poignard est moins un film contre Hitler – les Alliés préparent déjà la victoire finale lorsqu’il est mis en chantier – que sur les périls de la recherche atomique au profit de l’armée. Son action se situe à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et il sortira aux Etats-Unis après la fin du conflit, plus d’un an après les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki. Dans un tel contexte il n’était plus question de conserver la mise en garde exprimée par Lang par l’intermédiaire de son héros interprété par Gary Cooper, un scientifique américain travaillant pour le projet Manhattan et embauché par l’OSS (ancêtre de la CIA) pour empêcher que les Nazis puissent fabriquer leur propre bombe atomique.

Fritz Lang raconte ses déboires avec le studio à Peter Bogdanovich dans son livre d’entretiens Fritz Lang en Amérique (Cahiers du Cinéma, 1990). La tirade finale de Cooper sur le danger de l’ère atomique a sauté, mais lors de sa première rencontre avec un agent de l’OSS il ne cache pas ses doutes et ses angoisses au sujet du fruit de ses travaux sur la fission de l’atome entre les mains des militaires.

 

Trépidant récit d’espionnage qui ballade Gary Cooper et ses contacts alliés en Europe de la Suisse à l’Italie, avec l’ombre menaçante des espions nazis, Cape et Poignard est célèbre dans l’œuvre de Lang pour une scène de bagarre à mains nues caractéristique de la représentation de la violence chez le cinéaste allemand. Sèche, précise, sans complaisance mais sans mensonge non plus. Le silence de cette scène et la nature des coups que se portent les deux hommes – ongles plantés près des yeux comme des serres d’aigle, prise de karaté pour écraser la carotide – la rendent particulièrement effrayante. Gary Cooper ne fut pas doublé pour cette scène remarquablement chorégraphiée et montée. L’agression au visage dont il est victime est choquante car elle menace l’intégrité physique à la fois d’une star et d’un homme qui, au-delà de la finesse statuaire de ses traits, a toujours exprimé une forme de grandeur et de rectitude morale. L’effet d’une violence brutale souhaité par Lang est décuplé par la personnalité et la beauté de sa vedette masculine.

L’adversaire de Gary Cooper dans cette scène, un espion fasciste, est interprété par Marc Lawrence, second couteau à la carrière extraordinairement longue, aperçu dans plus de deux cents films, de Si j’avais un million en 1932 jusqu’aux Looney Tunes passent à l’action en 2003 ! Son visage grêlé et ses traits taillés à la serpe, plus ses mauvaises fréquentations – comme celle de Lucky Luciano – spécialisèrent ce natif du Bronx dans les rôles de gangsters et d’individus inquiétants. Il tient un rôle comparable à celui de Cape et Poignard dans Marathon Man où il joue l’un des deux tueurs nazis aux ordres de Laurence Olivier en plein New York. Sa filmographie comprend aussi bien deux James Bond que l’un des plus infâmes nanars de l’histoire du cinéma, Night Train to Terror, trois films de John Huston ou Une nuit en enfer de Robert Rodriguez. Il a aussi réalisé plusieurs épisodes de séries télévisées et écrit, produit, interprété et mis en scène en 1972 un film d’horreur bien crade où des psychopathes donnent les corps de leur victimes à manger aux cochons !

Ami de John Garfield Marc Lawrence un temps membre du Parti Communiste sera mis sur liste noire ce qui l’obligera à s’exiler en Europe et il tournera de nombreux films en Italie, avec Dino Risi, Franco et Ciccio ou plus tard Terence Hill et Bud Spencer. Appelé à témoigner devant la Commission de la chambre sur les activités antiaméricaines en 1950, il dénoncera l’acteur Jeff Corey et accusera Lionel Stander de l’avoir convaincu à s’inscrire au parti pour séduire les filles. Personnage hautement controversé, parfois qualifié de psychopathe Marc Lawrence a écrit ses mémoires et a fait l’objet d’une biographie romancée aux Etats-Unis, preuve que ce « character actor » a suscité la curiosité de nombreux cinéphiles, au point de devenir un véritable objet d’enquête.

 

 

 

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