Olivier Père

The Duke of Burgundy de Peter Strikland

The Duke of Burgundy est le troisième long métrage du cinéaste britannique Peter Strickland, après Katalin Varga (2009) et Berberian Sound Studio (2012). Ce film extraordinaire sort le 17 juin dans les salles françaises, distribué par The Jokers en association avec Bac Films.
Issu du monde de la musique expérimentale, Peter Strickland participe au renouveau d’un cinéma anglais non directement social et réaliste, aux côtés des films de Ben Weathley (qu’on retrouve d’ailleurs au générique parmi les coproducteur de The Duke of Burgundy), Christopher Smith ou Neil Marshall. Ce sont les talentueux enfants de Michael Powell, Terence Fisher, Pete Walker et Norman J. Warren, et c’est pour cela que leur travail doit être surveillé de près.

Histoire d’une relation amoureuse sadomasochiste entre deux femmes entomologistes passionnées par les papillons, quelque part en Europe à une époque indéterminée, The Duke of Burgundy est construit autour de séances de punition et de domination, de rites pervers dont la répétition obsessionnelle, avec de très légères variations, créée une atmosphère fantasmatique et brouille les repères du spectateur, comme si nous étions pris dans une boucle temporelle où se mélange passé, présent et avenir, dans un éternel retour névrotique. L’humour n’est pas absent avec l’illustration de la théorie bien connue selon laquelle le dominateur (ici la dominatrice) est toujours esclave des désirs du (de la) dominé(e).

Le soin fétichiste apporté au moindre détail décoratif, à l’ambiance sonore et visuelle permet de reconstituer avec beaucoup d’élégance l’esthétique des films érotiques des années 70, ceux de Radley Metzger, des petits maîtres italien et surtout de Jess Franco, sous-genre européen auquel Strickland rend hommage ici après avoir célébré en huis clos les coulisses du giallo italien dans le studio d’enregistrement romain de Berberian Sound Studio. Mais l’approche de Strickland dépasse la citation cinéphilique et ne sombre jamais dans la parodie, contrairement à ce que pourrait faire penser son générique, pastiche de celui de Mais qu’avez-vous fait à Solange ? de Massimo Dallamano avec l’héroïne à bicyclette dans un paysage de campagne, sur fond de filtres de couleur, d’arrêts sur images et de musique « lounge ».

Strickland livre une création profondément originale, qui se nourrit d’une histoire parallèle du cinéma pour proposer quelque chose de nouveau, à l’instar de Quentin Tarantino. L’admiration et la compréhension du cinéma de Jess Franco sont profondes, car elles englobent aussi son système de production et de fabrication. Strickland n’a pas besoin de stars et d’un budget imposant pour confectionner des images fascinantes et distiller une ambiance vénéneuse. Son art du montage transforme ce qui aurait pu être un banal porno soft en film cerveau explorant les profondeurs de la psyché de deux femmes ensorcelées l’une par l’autre, plongées dans un état de dépendance réciproque. The Duke of Burgundy, beau film sur la féminité et ses mystères – aucun homme ne figure à l’image – est aussi et avant tout, un film sur le cinéma et la mise en scène des rêves, des fantasmes mais aussi des actions réelles, Strickland évitant tous les clichés du cinéma érotique pour inventer un système de représentation à la fois extrêmement subjectif et parfaitement explicite – l’ondinisme pratiqué par la dominatrice donne des séquences assez sidérantes. A la fois chaud et froid, sensuel et cérébral, incarné et théorique, The Duke of Burgundy est un très bel objet de cinéma qui prolonge de manière ludique et brillante une certaine modernité européenne (Luis Buñuel) et ses bifurcations les plus radicales et dévoyées (Jess Franco).

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