Olivier Père

Le Vieillard du Restelo et Singularités d’une jeune fille blonde de Manoel de Oliveira

Manoel de Oliveira s’est éteint le jeudi 2 avril 2015 à l’âge de 106 ans.

Pour saluer le grand cinéaste portugais ARTE diffuse dans la nuit du jeudi 9 avril son dernier court métrage (à 0h20) et l’un des meilleurs films de sa fin de carrière, tous deux soutenus par ARTE.

En 2014 Manoel de Oliveira avait trouvé la force de réaliser Le Vieillard du Restelo (O Velho do Restelo), présenté hors compétition à la Mostra de Venise.

« Une plongée libre et désespérée dans l’Histoire telle qu’elle s’est déposée, comme un limon fertile, dans la mémoire de Manoel de Oliveira. Il réunit sur un banc du 21ème siècle Don Quichotte, le poète Luis de Camões, les écrivains Teixeira de Pascoaes et Camilo Castelo Branco. Ensemble, emportés par les mouvements telluriques de la pensée, ils dérivent entre passé et présent, défaites et gloire, vanité et folie, à la recherche de l’inaccessible étoile. »

Ce court métrage de 19 minutes avait été tourné à Porto avec Diogo Dória, Luís Miguel Cintra, Ricardo Trêpa, Mário Barroso (ci-dessous en photo sur le tournage du film), soit les plus fidèles acteurs du maître portugais, réunis pour des adieux pessimistes et déchirants. Comme cette année Jean-Marie Straub et son Kommunisten, Manoel de Oliveira intégrait dans cet ultime opus des extraits de certains de ses grands films précédents.

Le Vieillard du Restelo de Manoel de Oliveira

 

Singularités d'une jeune fille blonde

Singularités d’une jeune fille blonde

Singularités d’une jeune fille blonde (Singularidades De Uma Rapariga Loira, 2009) compte parmi les plus beaux films de Manoel de Oliveira et confirme sa proximité avec Bunuel. Comme Cet obscur objet du désir, Singularités… est le récit d’une passion malheureuse racontée par son personnage principal à une inconnue dans un train. Comme dans Belle de jour, la blondeur immaculée de la jeune femme bourgeoise dissimule un secret, un vice, une névrose. De Bunuel à Hitchcock il n’y a qu’un pas et le film de Oliveira dialogue aussi avec ceux du maître anglais, ses héroïnes frigides et kleptomanes. Les trois grands cinéastes d’inspiration catholique partagent un sens commun de l’érotisme et du péché, montrant le moins pour exprimer le plus avec un goût du détail qui confine au fétichisme.
Luísa (la très belle Catarina Wallenstein) est sœur de Marnie et de Séverine, mais aussi de Madeleine / Judy (Kim Novak dans Sueurs froides) puisqu’elle est pour le narrateur un fantasme, un trophée, une poupée sur laquelle il projette ses désirs (moins sexuels que de réussite et d’intégration sociales) et qu’il jette et méprise lorsqu’il en découvre la faille, la souillure allégorique qui symbolise la peur des hommes devant les mystères de la sexualité féminine, à l’instar des grands paranoïaques décrits par Bunuel. L’image finale du film, impressionnante, est celle d’un mannequin désarticulé, qui perd son charme et son pouvoir de fascination, anéantie par l’ordre moral et le regard accusateur de son fiancé. Chez Oliveira la femme « est » le pantin. Conclusion cruelle, implacable pour l’un des chefs-d’œuvre de Oliveira, paradoxalement féministe, qui avec ce film et les deux suivants, L’Etrange Affaire Angelica et Gebo et l’ombre, arrivera à une épure classique de son art.

Manoel de Oliveira

Manoel de Oliveira

Le Vieillard du Restelo et Singularités d’une jeune fille blonde seront tous deux disponibles en Replay sur ARTE+7.

 

Texte écrit au moment de la sortie de Gebo et l’ombre

https://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2012/10/02/gebo-et-lombre-de-manoel-de-oliveira/

Texte écrit à l’occasion de la rétrospective des films de Manoel de Oliveira à la Cinémathèque française

https://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2012/09/06/retrospective-manoel-de-oliveira-a-la-cinematheque-francaise/

 

 

 

 

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