ARTE diffuse lundi 9 février à 20h50 Le Temps d’aimer et le Temps de mourir (A Time to Love and a Time to Die, 1958) de Douglas Sirk.
« Je n’ai jamais cru autant à l’Allemagne en guerre qu’en voyant ce film américain tourné en temps de paix » écrivit le jeune critique Jean-Luc Godard dans un article devenu célèbre publié dans les Cahiers du Cinéma au moment de la sortie française du film.
On ne peut que lui donner raison tant le chef-d’œuvre de Sirk, loin des clichés de la reconstitution guerrière selon les studios hollywoodiens, atteint une forme de vérité et de tragique pas si éloignée de Allemagne année zéro de Roberto Rossellini qui racontait, déjà, le lent chemin d’un enfant vers la mort, à travers les ruines de l’Allemagne.
Avant-dernier long métrage américain du cinéaste allemand, prince du mélodrame exilé aux Etats-Unis dès le début des années 40, Le Temps d’aimer et le temps de mourir est une adaptation d’un roman de Erich Maria Remarque, écrivain très prisé par Hollywood depuis le triomphe de A l’ouest rien de nouveau.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, lors de la terrible retraite de Russie, un jeune officier allemand (John Gavin, pâle substitut à Paul Newman initialement pressenti, Rock Hudson du pauvre, mais qu’importe) bénéficie d’une permission, la première depuis deux années de combats. Il arrive à Berlin dévastée par les bombardements, découvre que la maison familiale a été détruite, et tombe amoureux de son amie d’enfance (Liselotte Pulver).
Avec un incroyable sens de l’épure Sirk parvient à montrer l’horreur de la guerre en quelques plans lors du prologue : une main gelée jaillissant de la neige, une goutte d’eau en forme de larme sur l’œil d’un cadavre en train de dégeler, un amas de terre sous lequel gisent des otages fusillés, autant d’images poétiques inoubliables dans un film aux accents intimes longtemps cachés par le cinéaste. Le Temps d’aimer et le Temps de mourir est le film le plus secrètement autobiographique de Douglas Sirk, et pas seulement parce que le cinéaste déambulera lui aussi au milieu des ruines de son pays.
En effet Sirk était hanté par le sort tragique de son fils, né d’un premier mariage. Sa première femme était une militante nazie et avait embrigadé son fils en partie par vengeance envers Sirk dont la seconde femme était d’origine juive. Le fils endoctriné de Sirk a probablement été tué sur le front russe au printemps 1944. Sirk malgré ses nombreuses démarches ne parviendra pas à le sauver ni à le retrouver, vivant ou mort. L’adaptation d’un roman de Erich Maria Remarque – qui ne tarira pas d’éloges ni sur le film ni sur Sirk – devient alors pour le cinéaste un prétexte lui permettant d’évoquer le destin de son fils unique disparu sans laisser de trace. Le film est hanté par l’image manquante d’un fils dont le cinéaste rêve ce que furent les dernières semaines, allant jusqu’à mettre en scène sa mort cinématographique qui vient se substituer à sa véritable disparition, demeurée hors champs. Jamais une superproduction hollywoodienne n’aura été aussi proche d’une lettre d’amour d’un père écrite à son enfant mort.
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