Olivier Père

Electric Boogaloo de Mark Hartley

 

2014 n’aura donc pas seulement été l’année de la production de deux films sur Yves Saint Laurent, mais aussi de deux documentaires sur la Cannon… Est-ce bien raisonnable ?

Quelques mois après la sortie de The Go-Go Boys de Hilla Medalia présenté à Cannes Classics voici que débarque en DVD à la vente Electric Boogaloo (Electric Boogaloo the Wild Untold Story of Cannon Films) de Mark Hartley (éditions Luminor). L’Australien Mark Hartley est un multirécidiviste en matière de documentaires sur le cinéma d’exploitation puisqu’on lui doit déjà les remarqués Not Quite Hollywood: The Wild, Untold Story of Ozploitation! sur le cinéma de genre australien et Machete Maidens Unleashed! sur la même chose aux Philippines, que nous n’avons pas encore vus malgré leurs sujets très alléchants.

Electric Boogaloo reprend une formule identique en l’appliquant à la fameuse compagnie Cannon Films : un maximum de témoignages, d’extraits de films et d’images d’archives qui bombardent le spectateur d’informations, d’anecdotes et de témoignages, et ravive la fibre « nerd » des cinéphiles nostalgiques qui se souviennent de la sortie des productions Cannon dans les multiplexes des années 80. La différence majeure entre les deux documentaires réside évidemment dans la participation bienveillante des deux cousins dans le film de Medalia, avec un long entretien réalisé spécialement pour cette occasion (Go-Go Boys est le documentaire « officiel » soutenu par Golan et Globus), et leur absence aveuglante dans celui de Hartley, hormis quelques images d’archives. Mais ce n’est pas la seule. Le documentaire de Hartley est plus dynamique et s’attarde davantage sur des titres emblématiques de la Cannon, y compris les plus obscurs et oubliés, leur accordant de nombreux extraits et interviews d’époque ou actuelles avec les réalisateurs et les acteurs concernés. On y parle ainsi – pas vraiment en bien – de The Last American Virgin (1982) de Boaz Davidson, sorte de remake pour le marché américain par le même réalisateur de Juke Box, « teen movie » graveleux produit par la Cannon en Israël et qui avait battu tous les records d’entrées dans son pays d’origine ; le notoirement épouvantable BIM Stars (The Apple, 1980) comédie musicale futuriste réalisé par Menahem Golan en personne sous influence de Ken Russell ; ou L’Amant de Lady Chatterley et Mata Hari nanars érotiques avec Sylvia Kristel… avec des extraits – accablants – à l’appui. Et beaucoup d’autres encore…

Electric Boogaloo ne s’appesantit pas sur les débuts de Golan-Globus en Israël, mais explique à quel point ils furent snobés et méprisés à Hollywood, où ils furent toujours considérés, non sans un certain racisme, comme des étrangers et des magouilleurs infréquentables. Un intervenant fait remarquer que Golan et Globus firent venir un grand nombre de techniciens et de réalisateurs d’Israël pour travailler sur leurs productions américaines, ce qui ne facilita ni leur intégration à Hollywood, ni la facture américaine et la réception de leurs films auprès du public US. Il est vrai que les films Cannon ne répondront jamais à certains critères, ni de bon goût ni de décence, même en regard du cinéma d’exploitation américain pourtant laxiste sur le sujet. Leurs productions se caractérisent par une vulgarité carabinée, un humour et un érotisme sans finesse, sans parler d’une violence excessive dans le domaine du thriller ou du film d’action, comme en témoigne leur longue collaboration avec Michael Winner, qui signera pour la Cannon ses films les plus contestables en matière de sadisme et d’idéologie douteuse (Un justicier dans la ville 2, The Wicked Lady, Le Justicier de New York…)

Menahem Golan et Yoran Globus

Menahem Golan et Yoram Globus

On passe ensuite un bon moment avec la série des films de ninjas de la Cannon, parmi leurs productions les plus excentriques et appréciées des amateurs de séries B des années 80 : L’Implacable Ninja (Enter the Ninja) avec Franco Nero, Ultime Violence (Revenge of the Ninja), Ninja III The Domination (le meilleur, avec une danseuse d’aérobic possédée par l’esprit d’un ninja…)

Le ton moqueur du film de Hartley se précise avec les commentaires acerbes des intervenants qui ironisent sur les mauvaises manières des deux cousins mais aussi sur la médiocrité ou la nullité des productions Cannon, bientôt distribuées par la MGM aux Etats-Unis ; Devant les résultats désastreux au box-office et la « qualité » des films livrés la MGM, déjà en difficulté financière, mettra prématurément fin au contrat.

La Cannon connaîtra son premier vrai succès commercial aux Etats-Unis avec un film sur la mode du « break dance », Break-Street 84, bientôt suivi par le carton de la série Portés disparus avec Chuck Norris, nouvelle recrue de la Cannon qui souhaite avoir ses propres stars sous contrat (Norris, Charles Bronson, rejoints par les petits nouveaux Michael Dudikoff et Jean-Claude Van Damme).

Là encore les railleries fusent, pointant les dysfonctionnements de la Cannon qui ne parviendra pas à exploiter correctement des filons juteux en multipliant les erreurs de stratégies.

Les bons résultats de certains films encouragent Golan et Globus à se lancer dans la production de films plus « ambitieux », comme Invasion USA, Delta Force ou Lifeforce, autant de plaisirs coupables…

Au milieu des années 80 Golan et Globus, toujours traités comme des charlatans achètent de nombreux encarts publicitaires au Marché du Film du Festival de Cannes – surnommé alors le « Cannon Film Festival » – et y vendent avec un bagout exceptionnel des films pas encore tournés grâce à se simples posters racoleurs. Ils décident aussi de s’offrir les services de certains auteurs ou cinéastes prestigieux. Jerry Schatzberg, John Frankenheimer, Franco Zeffirelli, Barbet Schroeder ou Andrei Konchalovsky et même Jean-Luc Godard tourneront pour la Cannon.

Etrangement, certains de ces cinéastes sérieux (Frankenheimer, Schatzberg) semblent les seuls à garder de bons souvenirs de leur expérience avec la Cannon, voire à émettre des jugements positifs sur Golan et Globus, y compris Schroeder qui rappelle son célèbre chantage à l’automutilation avec une tronçonneuse si le tournage de Barfly, interrompu faute d’argent frais, ne reprenait pas dans les meilleurs délais. Cela avait plu à Golan…

Konchalovsky signera même un très grand film produit par Golan-Globus, Runaway Train, qui aurait sans doute acquis plus rapidement une excellente réputation s’il n’avait subi l’opprobre du logo infamant de la Cannon.

C’est l’inflation des budgets de productions mégalomanes, en contradiction avec la « philosophie » de la compagnie, qui provoquera la chute de la Cannon. Golan et Globus mettent en chantier de gros films chers mais ne les contrôlent pas et leur accordent le même traitement que des séries B – tourner vite pour sortir vite. Ca ne marche pas.

Golan et Globus paient Stallone la somme record de 13 millions de dollars pour jouer dans Over the Top – un mélo lacrymal et anachronique incapable de rivaliser avec Rocky et Rambo et produisent le catastrophique Superman IV qui creusera leur tombe. Après les résultats eux aussi décevant des Maitres de l’univers la Cannon est en liquidation. Lorsque l’escroc italien Giancarlo Paretti en 1989 rachète la Cannon pour 200 millions de dollars – épisode mieux raconté dans le doc de Medalia – les deux cousins se séparent avec perte et fracas, et Golan part fonder une nouvelle compagnie, 21st Century, sombrant dans une déchéance pathétique.

Electric Boogaloo est assez bref sur la triste fin de la Cannon.

Dossier à charge insistant sur la vulgarité et les pratiques douteuses des deux cousins, le documentaire de Mark Hartley leur concède quand même leur enthousiasme sans borne et leur sincère passion pour le cinéma. Un enthousiasme – notamment de la part de Golan – souvient assimilé à de la démence, lorsque ce dernier essaie de faire signer un contrat à un orang outang puis le remplace par un nain dans un costume lorsque l’animal frappe son jeune partenaire humain sur le tournage du fort oublié et totalement improbable Mon aventure africaine en 1988…

Et une passion qui ne va pas sans naïveté ni incompétence. La multitude d’anecdotes sur l’extravagant Golan est drôle mais elle ne le montre pas vraiment à son avantage, contrairement à l’émouvant portrait d’un homme aux rêves plus grands que nature dressé par Medalia dans Go-Go Boys… Le point de vue du documentaire israélien sur ces deux enfants du pays partis à la conquête de Hollywood est fondamentalement plus tendre que le ton sarcastique de l’Australien.

Electric Boogaloo se termine sur une comparaison pertinente entre Cannon et l’actuel studio indépendant Nu Image dirigé par Avi Lerner, un autre israélien et ancien de la Cannon qui a repris certains principes de la Cannon au sein de sa compagnie – mauvais goût et opportunisme compris.

Electric Boogaloo offre enfin le privilège de découvrir à quoi ressemblent aujourd’hui Bo Derek, Sybil Danning, Molly Ringwald et Lauren Landon, identifiées uniquement grâce à leur nom écrit au bas de l’image.

 

Parce que la Cannon ce fut aussi, au milieu d’une flopée de films invraisemblables, pas mal de fleurons du cinéma bis des années 80 et quelques mémorables bandes d’action décomplexées, voici notre top ten Cannon personnel, en dehors des films d’auteurs comme Runaway Train, Barfly, Torrents d’amour (Cassavetes) et King Lear (Godard).

Ninja III - The Domination

Ninja III – The Domination

1 – Ninja III – The Domination de Sam Firstenberg

2 – Massacre à la tronçonneuse 2 de Tobe Hooper

3 – Invasion USA de Joseph Zito

4 – Delta Force de Menahem Golan

5 – Over the Top de Menahem Golan

6 – Kinjite, sujets tabous de Jack Lee Thompson

7 – Le Justicier de minuit de Jack Lee Thompson

8 – Ultime Violence de Sam Firstenberg

9 – Lifeforce de Tobe Hooper

10 – Paiement cash de John Frankenheimer

 

En hommage à Menahem Golan, décédé le 8 août 2014.

 

 

 

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