Olivier Père

A Dangerous Method de David Cronenberg

ARTE diffuse mercredi 28 janvier à 20h50 A Dangerous Method (2011) de David Cronenberg.

Suisse, début du XXème siècle. Sabina Spielrein (Keira Knightley), une jeune femme souffrant d’hystérie, est soignée par le psychanalyste zurichois Carl Jung (Michael Fassbender), fondateur de la psychologie analytique. Elle est guérie par la thérapie de Jung, qui révèle un traumatisme enfantin lié aux châtiments corporels infligés à Sabina par son père. Sabina devient son assistante et bientôt sa maîtresse, prenant l’initiative d’une relation sadomasochiste secrète qui bouleverse les stricts principes moraux et professionnels de Jung, austère bourgeois marié et père de famille. Leur liaison est révélée lorsque Sabina rentre en contact avec Sigmund Freud (Viggo Mortensen)… À partir de là, les rapports entre Jung et Freud se développent de la séduction mutuelle initiale autour de la théorie de la sexualité à la rivalité jusqu’à la rupture, Freud se trouvant en total désaccord avec l’approche mystique de Jung qu’il qualifie de chamanisme au rabais…

A Dangerous Method s’interroge sur la répression du sexe et des passions, au cœur du dilemme jungien et des recherches balbutiantes de la psychanalyse : pourquoi la principale source de plaisirs chez l’homme et la femme est-elle source de terrible névroses, avec l’intégration au plus profond de notre inconscient des condamnations et des interdits socioculturels ?

Keira Knigthley dans A Dangerous Method

Keira Knigthley dans A Dangerous Method

L’émancipation de la jeune Sabina Spielrein (personnage réel comme les autres protagonistes du film), jeune juive russe auteure de la notion de « pulsion destructrice et sadique » qui inspirera la théorie de « pulsion de mort » de Jung se déroule à l’aube de la période la plus sombre du XXème siècle et elle périra massacrée par les Nazis en Russie en 1942. L’ombre de la Shoah et des désastres de la Première et de la Seconde Guerre mondiale plane sur tout le film, qui se conclut sur le récit d’un cauchemar prémonitoire de Jung, en 1914, qui a rêvé d’une terrible catastrophe s’étendant sur l’Europe.

Les relations triangulaires complexes des personnages sont celles qui opposent maîtres et disciples, hommes et femmes dans la société corseté de l’époque mais aussi de Juifs (Sabina, Freud) et Aryens (Jung), avec les préjugés de classes que cela implique, comme le fait remarquer le célèbre médecin viennois à la jeune femme venue lui rendre visite.

Michael Fassbender et Viggo Mortensen dans A Dangerous Method

Michael Fassbender et Viggo Mortensen dans A Dangerous Method

Après eXistenZ en 1999, Cronenberg n’est plus l’auteur complet de ses films. Celui qui fut toujours son propre scénariste même s’il lui arrivait fréquemment d’adapter des romans accepte de tourner des scénarios qui lui sont proposés par des producteurs. Cette « disponibilité » va lui permettre d’élargir son champ d’investigation, tout en poursuivant une œuvre paradoxalement homogène et en restant fidèle à ses propres obsessions. A Dangerous Method est tiré d’une pièce de théâtre de Christopher Hampton, que le dramaturge a lui-même adapté pour le grand écran. A partir d’un matériau théâtral Cronenberg se livre à un remarquable travail de mise en scène, centré autour de la parole mais aussi de l’espace et de la lumière. Avec son directeur de la photographie Peter Suschitzky Cronenberg s’éloigne de la simple illustration académique, et signe un film tranchant à la précision chirurgicale, où le feu brûle sous la glace. Sans appartenir au genre fantastique, A Dangerous Method est l’histoire d’une thérapie expérimentale comme pouvait l’être Chromosome 3. La plupart du film se déroule en huis clos à l’instar de La Mouche, presque entièrement confiné dans un laboratoire. Le Cronenberg dernière période devient un cinéaste de l’enfermement, et même de l’intériorisation. Les manifestations psychosomatiques de ses films d’horreur, les transformations ou anomalies physiques spectaculaires sont remplacées par les tourments et les conflits de l’âme et de l’esprit. En épurant son cinéma, Cronenberg ne fait que se rapprocher davantage de ce qui fut toujours au centre de ses préoccupations de cinéaste, le cerveau humain.

 

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