Olivier Père

La Proie du désir de Marcello Pagliero et Roberto Rossellini

Bach Films permet de découvrir dans sa collection de DVD « les grands classiques du cinéma italien » La Proie du désir (Desiderio, 1946), très beau film qui connut une gestation plutôt rocambolesque. Les premières prises de vue débutent l’été 1943 par les intérieurs tournés dans un studio romain mais sont interrompues à cause des bombardements américains qui détruisent le 19 juillet le quartier de San Lorenzo et de la gare de marchandises où l’action était censée se dérouler. Rossellini modifie donc le scénario et son plan de tournage et transpose certaines séquences à la campagne, embarquant son équipe dans un petit village du sud de l’Italie. La chute du fascisme et l’armistice du 8 septembre 1943 interrompent le tournage. Rossellini part vers une autre aventure, celle de Rome, ville ouverte en 1945 dont on connaît l’immense retentissement. Sa carrière prend un envol spectaculaire et il entreprend l’ambitieux projet de Paisà. Lorsque le tournage de La Proie du désir peut reprendre après la guerre Rossellini s’en désintéresse et c’est finalement Marcello Pagliero (l’un des scénaristes et acteurs de Rome, ville ouverte), tenté par la mise en scène, qui termine et monte le film, projeté à Rome en 1946 avec le nom des deux hommes au générique. Le film aura quelques soucis avec la censure notamment à cause d’une bref – et fort beau – plan de nudité de l’actrice principale heureusement présent dans la copie proposée par Bach Films, et que vous pouvez contempler en tête de ce texte.

Les témoignages et opinions des spécialistes divergent sur ce qu’a vraiment tourné Rossellini dans La Proie du désir. Son biographe Tag Gallagher lui attribue la première partie du film, qu’il juge la meilleure, tandis que Adriano Aprà prétend que les scènes de campagne sont de Rossellini et les scènes de ville de Pagliero (qui aurait aussi mis en boîte la scène finale).

A partir d’une histoire originale coécrite par Giuseppe De Santis qui ne cachait pas sa dette envers Ossessione de Luchino Visconti, chef-d’œuvre inaugural du néo-réalisme, et après moult rebondissements et changements de mains La Proie du désir est au bout du compte un film cohérent et très rossellinien, qui ouvre la voie des futurs chefs-d’œuvre de l’auteur d’Allemagne année zéro, et qu’importe si Marcello Pagliero, un cinéaste plutôt anodin, en a assuré une grande partie des prises de vue.

Elli Parvo dans La Proie du désir

Elli Parvo dans La Proie du désir

Le film suit la trajectoire de Paola (Elli Parvo), jeune prostituée mondaine qui passe ses nuits avec de riches vieillards qui rêvent de l’entretenir. Fatiguée de cette existence débauchée, elle rencontre un honnête homme, Giovanni (Carlo Ninchi), un paisible horticulteur qui ignore tout de sa condition. Une relation platonique s’installe entre les deux cœurs solitaires. Avant de changer de vie et d’épouser Giovanni, Paola décide de retourner dans son petit village natal pour renouer avec sa famille qui la traite avec mépris. Sa beauté sensuelle éveille la concupiscence de son beau-frère (le viril Massimo Girotti, vedette de Ossessione de Visconti) tandis que son premier amant qui l’avait violée, provoquant son départ à Rome, menace de la faire chanter si elle ne se donne pas à lui. Cette accumulation de situations tragiques sur le thème de la pauvre fille perdue, vouée à subir le désir des hommes, ne débouche pourtant pas sur un banal mélodrame. Les deux suicides qui encadrent le film annoncent ceux de Allemagne année zéro et de Europe 51. Paola est la première héroïne de l’œuvre de Roberto Rossellini. Son errance solitaire dans un monde corrompu, sa quête pour accéder à une liberté et à une dignité que tous lui refusent se solde par un échec, ou plutôt une délivrance que seule la mort peut lui apporter. La Proie du désir n’est pas un film de renoncement mais de rébellion absolue, au point d’en devenir bouleversant. Ecrasé par la proximité de Rome, ville ouverte et sous-estimé en raison de sa double signature, La Proie du désir est pourtant un film fondateur de l’esthétique et de la philosophie rosselliniennes.

Massimo Girotti dans La Proie du désir

Massimo Girotti dans La Proie du désir

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Un commentaire

  1. Fadhila Nguyen dit :

    Je n’ai pas vu la fin

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