Les éditions DVD françaises permettent actuellement de revoir ou de découvrir des titres méconnus et peu commentés dans la filmographie pléthorique du cinéaste allemand Werner Herzog. Bach Films ressort des oubliettes Le Cri de la roche (Cerro Torre: Schrei aus Stein) réalisé en 1991, période durant laquelle Herzog est jugé au nadir de sa carrière, avant sa résurrection inattendue sur la scène internationale grâce à l’accueil enthousiaste dont bénéficiera Grizzly Man en 2005. Ce film est réalisé par Herzog la même année que la mort de son acteur de prédilection Klaus Kinski, leur dernier film ensemble remontant à 1987 (Cobra Verde). La mauvaise réception du Cri de la roche incitera Herzog à se consacrer exclusivement à des documentaires pour le cinéma et surtout la télévision pendant dix ans, ne signant un autre film de fiction pour le grand écran qu’en 2001 (le beau et sous-estimé Invincible.) Le Cri de la roche rejoint la passion de Herzog pour l’alpinisme, les défis cinématographiques extrêmes et les territoires inexplorés. Il s’inscrit aussi dans une tradition très prisée par le cinéma allemand et toujours populaire auprès du public germanique, le « film de montagne » avec le récit des exploits d’aventuriers des cimes sur fond de rivalité et de mélodrame (les longs métrages d’Arnold Fanck avec Leni Riefenstahl dans les années 20 et 30 sont les plus emblématiques de ce filon prolixe.) C’est sans doute cet aspect assez conventionnel du scénario qui fut le plus reproché à Herzog, en plus d’une distribution hétéroclite guère convaincante qu’on imagine liée aux accords de coproductions du film. Le Canadien Donald Sutherland et la Française Mathilda May ne trouvent jamais leur place, l’Italien Vittorio Mezzogiorno (photo en tête de texte) malgré son physique buriné et musculeux ne s’impose pas en héros herzogien, seul Brad Dourif et ses quelques apparitions excentriques en alpiniste aux doigts coupés admirateur de Mae West se montre digne de la folie de Kinski dans Fitzcarraldo. Le film dénonce l’imposture et le cynisme du sport spectacle sponsorisé par la télévision, en opposition aux vraies valeurs de l’alpinisme, au courage et à l’intégrité des hommes qui le pratiquent dans le respect des règles et de la nature, atteignant une sorte de philosophie de l’existence dans le besoin de se confronter à leurs propres limites et à défier la montagne. Cette opposition est incarnée par la rivalité professionnelle et privée – ils se disputent la même femme – entre Roccia (Mezzogiorno), 45 ans, alpiniste de renommée internationale et conquérant des plus hauts sommets du monde et Martin (Stefan Glowacz, vraie star de l’alpinisme d’origine bavaroise comme Herzog, et acteur – sans grand charisme – occasionnel), 25 ans, pionnier de l’escalade sportive et vedette médiatique. Malgré leurs différences, ils acceptent de relever ensemble un immense défi : venir à bout du Cerro Torre, une tour de granit et de glace de Patagonie, réputée la plus difficile du monde à gravir… Mais Martin prend les devants et prétend avoir attend le sommet du Cerro Torre, sans aucun témoin pour le contredire car son partenaire est porté disparu, emporté par une avalanche. Roccia et d’autres alpinistes expérimentés sont persuadés que Martin a menti. Martin accepte d’escalader une seconde fois le dangereux pic rocheux devant les caméras de télévision. De son côté, Roccia s’installe vivre au pied du Cerro Torre, attendant le moment propice pour se confronter à lui. Herzog a sans doute manqué de moyens et Le Cri de la roche souffre parfois d’une esthétique télévisuelle lorsque le cinéaste allemand ne filme pas la fascinante montagne et les paysages désertiques et sauvages de Patagonie. Les défauts inhérents aux coproductions européennes en anglais donnent au film une saveur douteuse sans doute involontaire. Mais le cinéaste reste fidèle à lui-même. Ses thèmes de prédilection sont bien présents, mais illustrées de manière plus sage que d’habitude. La critique a sans doute été un peu sévère au sujet de ce film, se moquant de Herzog quand il n’était plus à la mode, considéré comme fini, alors qu’il dissimulait beaucoup de réserves d’énergie, en grand athlète et explorateur du cinéma. Il faut dire que la même année, 1991, Wenders et Schlöndorff, pas au somment de leur forme non plus, sortaient Jusqu’au bout du monde et The Voyager et bénéficiaient alors de beaucoup plus de clémence et d’attention, pas forcément méritée, de la part de la presse et du public. Il est sans doute plus facile d’apprécier aujourd’hui Le Cri de la roche, comme une pièce certes mineure mais cohérente à l’intérieur d’une œuvre qui ne cesse de s’écrire : Herzog toujours hyperactif termine un nouveau film et en prépare un autre, Vernon God Little – coproduction ARTE – ainsi qu’une série documentaire pour la télévision.
Demain on parlera de Into the Abyss et de Happy People: A Year in Taiga.
Laisser un commentaire