Olivier Père

Secrets et Mensonges de Mike Leigh

ARTE diffuse ce soir à 20h45 Secrets et Mensonges (Secrets & Lies, 1996) sans doute le film le plus populaire de Mike Leigh qui lui valut la Palme d’Or et à Brenda Blethyn le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes. Secrets et Mensonges se révèle beaucoup plus optimiste que les films précédents de Mike Leigh même si le cinéaste britannique s’intéresse une fois de plus à la fragilité des destinées individuelles de personnage marqués par la vie, la malchance et les blessures sentimentales. C’est la pâte humaine et rien d’autre, dans sa beauté et sa laideur que Mike Leigh malaxe depuis ses débuts. Dans ce drame familial la dimension sociale n’est pas absente puisque le film insiste sur les écarts de réussite professionnelle entre Maurice (Timothy Spall) qui gagne bien sa vie, a pu s’acheter un commerce de photographie et une belle maison grâce à l’héritage familial et sa sœur Cynthia (Brenda Blethyn), considérée par tous à commencer par elle-même comme une ratée, mène une existence modeste et ne cesse de se discréditer aux yeux de sa fille Roxanne (Claire Rushbrook) qu’elle élève seule. Secrets et Mensonges mêle avec une grande virtuosité narrative les destins croisés de personnes de la même famille, qui ne s’aiment pas beaucoup, ne se connaissent pas vraiment et ont connu des fortunes diverses. L’idée centrale concerne la découverte d’un lien secret et au départ invraisemblable entre deux femmes appartenant à des milieux socio-culturels et même ethniques différents. A la mort de sa mère adoptive, Hortense (Marianne Jean-Baptiste), une jeune femme noire de vingt-sept ans, décide de partir à la recherche de sa véritable mère. Elle apprend avec stupéfaction que sa vraie mère, Cynthia, est blanche et qu’elle a une fille de vingt ans, Roxanne, avec laquelle elle vit et a une relation très conflictuelle. Quant à Cynthia, elle est paniquée quand elle apprend l’arrivée de cette enfant oubliée depuis longtemps, née d’une liaison dont on ne saura rien à l’âge de quinze ans.

Brenda Blethyn

Brenda Blethyn

La rencontre extraordinaire entre la mère et sa fille qui ignorent tout l’une de l’autre jusqu’à leur existence est la scène centrale – un plan fixe d’une dizaine de minutes dans un café, où l’on voit littéralement l’amour naître entre les deux femmes – qui fait basculer le film dans l’émotion pure, soulignée par la différence de couleur de peau entre les deux femmes, idée digne des plus puissants mélodrames hollywoodiens mais qui n’est jamais exploitée à des fins sensationnalistes. Mike Leigh signe un film moins cruel et désespéré que d’habitude, ose le mariage du rire et des larmes mais reste fidèle à ses méthodes de travail et à sa troupe de comédiens, visages atypiques et récurrents de films en films dans des rôles importants ou de simples apparitions. On peut considérer les acteurs de Leigh, toujours remarquables, comme les coauteurs de ses films, puisqu’il les intègre et les implique avant même le début des tournages dans son système créatif, qui accorde une large part aux répétitions mais aussi à l’improvisation et à la surprise, dans des grandes scènes où les personnages se confessent, crèvent les abcès du silence et de la dissimulation, comme la longue séquence de l’anniversaire. La petite musique de Mike Leigh a été rodée pendant de nombreuses années à la télévision, mais elle s’est poursuivie avec une ampleur nouvelle sur le grand écran, dépassant la chronique ou l’étude de caractères pour toucher l’essence de la nature humaine, derrière le vernis social et les grimaces psychologiques.

Marianne Jean-Baptiste et Claire Rushbrook

Marianne Jean-Baptiste et Claire Rushbrook

Le film est également disponible en replay sur ARTE+7.

 

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