Olivier Père

Black Coal de Diao Yinan et A Touch of Sin de Jia Zhangke

Deux films chinois, Black Coal (photo en tête de texte) actuellement sur les écrans, distribué par Memento, et A Touch of Sin disponible en DVD – auxquels il faudra très bientôt ajouter Drug War de Johnnie To qui sort directement en DVD le 18 juin, on en reparlera – livrent un état des lieux accablant de leur pays en pleine déliquescence morale, en se livrant à une subversion inventive et brillante des codes du cinéma de genre.

Back Coal

Back Coal

Black Coal (Bai Ri Yan Huo) est le troisième long métrage de Diao Yinan, déjà remarqué par les sinophiles cinéphiles avec Uniform et Train de nuit mais qui gagne aujourd’hui une reconnaissance exceptionnelle et méritée avec ce nouveau film qui a remporté l’Ours d’or à la dernière Berlinale.

En 1999, un employé d’une carrière minière est assassiné et son corps dispersé aux quatre coins de la Mandchourie. L’inspecteur Zhang mène l’enquête, mais doit rapidement abandonner après avoir été blessé lors de l’interpellation des principaux suspects.
Cinq ans plus tard, deux nouveaux meurtres sont commis dans la région, tous deux liés à l’épouse de la première victime. Devenu agent de sécurité, Zhang décide de reprendre du service. Son enquête l’amène à se rapprocher dangereusement de la mystérieuse jeune femme.

Black Coal

Black Coal

Cette traque obsessionnelle de la vérité aux ramifications labyrinthiques donne l’occasion au cinéaste de dresser le portrait d’une Chine rurale sinistrée au travers des nombreux personnages rencontrés par Zhang au fil de ses investigations. A la différence de A Touch of Sin le film de Diao Yinan n’a pas été interdit en Chine où il a même rencontré un immense succès. Le fait que l’action s’y déroule il y a dix ans et pas de nos jours explique peut-être en partie la permissivité de la censure qui a quand même demandé au réalisateur de réécrire son scénario plusieurs fois. Il n’empêche que Black Coal, qui doit beaucoup au film noir et à la littérature policière américaine, avec son intrigue opaque et son atmosphère sordide, propose un témoignage accablant sur la violence et la confusion qui s’est emparée de la Chine moderne. Film politique, Black Coal rivalise avec les meilleurs thrillers et la mise en scène de Diao Yinan et particulièrement brillante, au même titre que l’interprétation. Le film a été immédiatement comparé à A Touch of Sin, mais on pense aussi à Memories of Murder du coréen Bong Joon-ho qui procédait d’une même démarche cinématographique à la fois virtuose, romanesque et critique.

 

A Touch of Sin

A Touch of Sin

Pendant ce temps, Potemkine édite en DVD et Blu-ray l’un des plus beaux films de l’année passée, A Touch of Sin (Tian Zhu Ding) de Jia Zhangke. Rien d’étonnant puisque le cinéaste chinois est l’un des meilleurs en activité, l’un de ceux qui pensent le monde et l’art cinématographique en un même geste créateur.

Pourtant A Touch of Sin ne cesse de surprendre et marque un tournant dans l’œuvre de Jia Zhangke, étiqueté cinéaste rossellinien, mais rien n’est jamais si simple.

A Touch of Sin pourrait s’intituler « Histoires de la violence en Chine » : c’est presque un inventaire, à travers plusieurs récits qui se succèdent, quatre personnages et quatre provinces, des différentes formes d’exploitation de l’homme par l’homme liées au développement économique brutal de la Chine, où différentes couches de totalitarisme se superposent pour écraser davantage hommes et femmes du peuple.

Le bilan est désastreux : pays en proie à la violence, à la corruption et à l’esclavage moderne, où l’apparition des nouveaux – très – riches continue de creuser un fossé séculaire entre les classes de nantis et un immense masse humaine de misérables.

Les personnages du film se trouvent acculés à des actes extrêmes et des choix sans retour. Devenir fous, se prostituer pour vivre, tuer pour survivre, ou préférer mourir.

A Touch of Sin

A Touch of Sin

Le doux Jia Zhangke, artiste d’une infinie délicatesse dans la vie et dans ses films, se fait lui-même violence et scande A Touch of Sin de meurtres, de scènes de cruauté et brutalité. Il ne le fait pas d’une manière dégueulasse comme beaucoup de mauvais cinéastes qui glorifient de manière obscène et irresponsable ce qu’ils prétendent analyser ou dénoncer. Jia Zhangke invente une forme inédite capable d’appréhender la violence, avec des échos au cinéma de genre de Hong Kong ou des thrillers sanglants japonais, mais délestée de toute tentation spectaculaire. Une violence grotesque, froide ou chaotique. Une violence tragique et politique, présentée comme un acte de désespoir et une signe de refus. Le titre anglais du film de Jia fait directement référence au classique du « wu xia pian » de King Hu, A Touch of Zen, qui associait bouddhisme et combats acrobatiques. Ici le péché s’est substitué au zen, toute forme de spiritualité effacée d’une Chine obsédée par l’argent. Plus profondément Jia Zhangke avoue sa dette au « wu xia pian », ceux King Hu et Chang Cheh, mais aussi à la tradition littéraire du roman épique et en particulier le classique « Au bord de l’eau » qui proposent toujours des histoires d’oppression d’individus par le système, et de vengeance, que le cinéaste a voulu transposer dans le monde actuel pour démontrer que ces histoires immémoriales et légendaires de domination et de rébellion sanglante appartenaient désormais à la rubrique des faits-divers.

Il y a dans A Touch of Sin cette façon glaçante de chorégraphier la violence, de ne rien masquer mais de se tenir à la distance juste. Aucune jouissance dans des scènes de meurtres pourtant dignes des plus grands films de genre modernes.

Nous avions défini le cinéma de Jia Zhangke comme une œuvre en perpétuelle métamorphose, qui prend le pouls de la Chine. Cela se vérifie avec ce nouvel opus qui s’apparente à un cauchemar éveillé. Mais l’homme derrière la caméra n’a jamais été aussi lucide, et maître de sa mise en scène.

 

 

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