Olivier Père

Bird People de Pascale Ferran

C’est le film qu’il faut aller voir au cinéma actuellement, avec Deux Jours, une nuit de Jean-Pierre et Luc Dardenne, La Chambre bleue de Mathieu Amalric et Adieu au langage de Jean-Luc Godard, tous sortis dans la foulée de leur présentation au Festival de Cannes. Bird People parce que chaque précieux nouveau film de Pascale Ferran surprend et séduit, parce que la cinéaste emprunte des chemins de traverse qui placent pourtant le cinéma au cœur de ses projets, avec une croyance, un intelligence et une ambition peu communes. Au romanesque moderne de Lady Chatterley succède une appréhension à la fois documentaire et onirique du monde dans lequel nous vivons, à travers les destins croisés d’un homme et d’une femme coincés dans un no man’s land symbolique, l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle. En transit dans un hôtel international près de Roissy, un ingénieur en informatique américain (Josh Charles), soumis à de très lourdes pressions professionnelles et affectives, décide de changer radicalement le cours de sa vie. Quelques heures plus tard Audrey (Anaïs Demoustier), une jeune femme de chambre de l’hôtel, qui vit dans un entre-deux provisoire, voit son existence basculer à la suite d’un événement extraordinaire. Le cinéma de Pascale Ferran, depuis Petits Arrangements avec les morts, revendique la filiation avec les films laboratoires d’Alain Resnais, avec ce mélange de poésie, de fantastique et de rigueur scientifique. Bird People capte une inquiétude toute contemporaine pour la sublimer en un geste cinématographique sans équivalence, qui offre à son héroïne et aux spectateurs une expérience surnaturelle pour mieux nous faire réfléchir sur nos existences. Entre l’homme d’affaires américain qui décide de tout quitter, son travail comme sa famille, à des milliers de kilomètres de chez lui, et la jeune étudiante qui s’épuise dans les transports en commun pour nettoyer les chambres d’un hôtel d’aéroport, circule le désir – le besoin – commun de rupture radicale et de changer de vie, voire d’espèce, pour se réinventer, vivre le monde et sa propre vie sous un angle nouveau. Dans un mouvement ample et généreux, Bird People saisit aussi bien le collectif – les voix intérieures des passagers du RER, le matin sur le trajet du boulot, comme une symphonie du quotidien – que l’intime, la triste réalité de notre époque – un employé de l’hôtel obligé de dormir dans sa voiture, faute de logement – que le conte de fée ou l’histoire fantastique digne de Jacques Demy ou Kiyoshi Kurosawa, avec le décor de l’hôtel qui se transforme en labyrinthe mental et organique. Les métaphores oiseau – avion, envol – liberté, hôtel – cerveau n’alourdissent pas le film, écrit et monté avec une précision d’orfèvre mais qui conserve même à la seconde vision sa qualité d’imprévisibilité. L’un des nombreux défis – relevés – du film est aussi de nous faire oublier les années de travail qu’il a fallu pour dresser et filmer des moineaux, concevoir des effets spéciaux (invisibles) au service d’une histoire dont la poésie n’est jamais préfabriquée ou ostentatoire. C’est enfin et surtout un beau film sur la rencontre de deux solitudes, comme en témoigne l’émouvante scène finale, pleine d’espoir.

Anaïs Demoustier dans Bird People

Anaïs Demoustier dans Bird People

Bird People ne procurerait pas le même enchantement sans ses interprètes, et notamment la belle Anaïs Demoustier, particulièrement inspirante et gracieuse en fille oiseau.

 

 

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