Le dimanche 16 février à 20h50 sur ARTE débute avec la diffusion de La Grande Illusion de Jean Renoir (photo en tête de texte) un cycle de huit films sur la guerre de 14-18 à l’occasion des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale. Huit films français ou américains produits entre 1930 et 2006 dont certains comptent parmi les plus grands classiques de l’histoire du cinéma, véritables chefs-d’œuvre sur et contre la guerre. Nous avons eu envie d’en discuter avec le cinéaste français Damien Odoul qui prépare actuellement le tournage d’un ambitieux long métrage coproduit par ARTE France Cinéma et inspiré du livre autobiographique « La Peur » de Gabriel Chevallier, sur l’expérience de quatre ans de guerre dans les tranchées d’un jeune soldat français, et qui a choisi de commenter ses quatre films préférés du cycle.
A l’ouest rien de nouveau (All Quiet on the Western Front, 1930) de Lewis Milestone
C’est un des très grands films sur la Première Guerre mondiale, réalisé seulement douze ans après la fin de conflit. Par rapport au roman de Erich Maria Remarque le film est très réussi. Je me souviens du plan phénoménal, étrange et inattendu de l’arrivée au front vue de derrière une immense baie vitrée. La caméra est placée dans le quartier général, et l’on voit arriver le train, avec une explosion vue derrière une vitre. On nous montre la guerre comme la voyaient les officiers planqués derrière une fenêtre. Il y a un autre moment magnifique, lorsqu’un soldat remarque les bottes neuves d’un camarade mourant en train de délirer. Des ellipses nous montrent que ces bottes vont passer de pieds en pieds, à chaque fois que leur nouveau propriétaire est tué. C’est une belle métaphore de cette guerre. J’aime aussi beaucoup la scène de la conversation du soldat allemand avec le cadavre d’un poilu français dans un trou d’obus. Milestone réussit également de très beaux plans de charge en plein no man’s land, avec le contre champs de la mitrailleuse qui n’arrête pas de tirer.
Diffusion prochainement sur ARTE.
La Grande Illusion (1937) de Jean Renoir
C’est pour moi le film de l’enfance, que j’ai découvert à la télévision avec ma grand-mère qui avait perdue son père à la guerre de 14. Ce qui m’avait frappé c’était la relation entre les personnages joués par Pierre Fresnay et Eric von Stroheim. Pour un enfant l’officier interprété par Stroheim, meurtri dans sa chair, est très impressionnant. Il porte un corset et arrose une petite fleur dans un pot. Il est du côté de la vie tout en représentant la mort, homme métallique et vestige du passé. Avec bien sûr les souvenirs de la propre filmographie de Stroheim qui ressurgissent. La guerre de 14-18 fut la première guerre moderne, mais Rauffenstein (Stroheim) appartient encore à la vieille école, celle qui chargeait sabre au clair comme dans les guerres napoléoniennes. Cette confrontation entre deux sortes de guerres et de guerriers est très forte. On retrouve aussi cela dans le beau texte d’Ernst Jünger « Orages d’acier » (« In Stahlgewittern », publié en 1920, ndr.)
Je suis sensible à la tragédie du film mais aussi au burlesque qu’apporte le personnage gouailleur joué par Carette qui représente bien la France de l’époque. Je pense aussi à la fin du film et au duo formé par les personnages interprétés par Jean Gabin (le prolétaire) et par Marcel Dalio (le bourgeois juif), avec quand les deux hommes se disputent des propos antisémites d’un côté et du mépris de classe de l’autre. Et pourtant ils réussissent à fraterniser et à s’entraider face à l’adversité.
Cette fraternité est aussi une forme de pessimisme de la part de Renoir puisqu’elle n’est possible qu’en temps de guerre. Renoir avait prévu une fin où les deux amis se faisaient le serment de se retrouver après la guerre à la terrasse d’un café. Le dernier plan montrait deux chaises vides. Aucun des deux n’était venu.
C’est fantastique. Cela me fait penser à « La Main coupée » de Blaise Cendrars dans lequel l’écrivain, ancien soldat, retrouve un camarade de combat qu’il croyait mort après avoir été enterré vivant par l’explosion d’un obus, en train de balayer la sciure dans un café. Cendrars croit voir un fantôme. Trois pages géniales.
Première diffusion le dimanche 16 février à 20h50 sur ARTE.
Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory, 1957) de Stanley Kubrick
Très beau film. J’ai appris des choses importantes sur les mutineries en travaillant sur mon propre film – même si je ne vais pas les traiter, mais ce sera mentionné dans un dialogue. Kubrick évoque les mutineries de 1917, vers la fin du conflit. Il y a eu 740 soldats français fusillés sur les ordres du célèbre général Pétain durant toute la guerre, ce qui est énorme. Ce que peu de gens savent c’est que sur ces 740 il y en a environ 200 qui furent fusillés durant les premiers mois de la guerre. Dès le début des conflits il y a eu des déserteurs ou des soldats qui avaient compris que la guerre allait s’enliser. L’armée française a aussi été suffisamment maline pour récupérer les fortes têtes, des anciens bandits et des prisonniers de droit commun pour les enrôler dans les corps francs, leur donner double ration pour aller égorger les sentinelles allemandes.
Kubrick montre très bien que les soldats étaient anéantis par la peur après être montés plusieurs fois à l’assaut. Leurs corps ne voulaient plus y aller. C’est une honte que ce film ait été censuré et même interdit aussi longtemps en France. Le film ose montrer la responsabilité des officiers français dans des salons de château loin des tranchés obsédés par la gloire et les décorations et qui traitent les troupes comme de la chair à canon. Les avenues les plus larges à Paris portent le nom de meurtriers. Il suffit de lire les ouvrages consacrés à la Première Guerre mondiale. Et pourtant il n’y a jamais eu dans notre pays cette prise de conscience. Nous savons pourtant aujourd’hui que des massacres auraient pu être évités en face d’un mur de balles. Ceux qui l’ont payé le plus cher ce sont les soldats très jeunes et d’origine paysanne, parce que beaucoup plus résistants, sans oublier nos cousin artilleurs sénégalais, les spahis marocains, les Chinois qui n’étaient même pas armés, envoyés là uniquement pour construire les tranchées.
Première diffusion le lundi 17 février à 20h50 sur ARTE.
Johnny s’en va-t-en guerre (Johnny Got His Gun, 1971) de Dalton Trumbo
Johnny s’en va-t-en guerre est l’unique film réalisé par le scénariste Dalton Trumbo, d’après son propre roman écrit en 1939. Trumbo, célèbre pour avoir été un des « dix d’Hollywood », victime du maccarthysme, fut contraint de travailler plus de dix ans sous pseudonyme, exilé au Mexique, avant de retrouver son vrai nom au générique d’un film.
C’est pour moi le plus grand film jamais fait sur la Première Guerre mondiale. Mais en même temps ce n’est pas un film sur cette guerre. C’est surtout l’un des plus violents réquisitoire de la littérature et du cinéma sur l’absurdité de toutes les guerres. Le film est d’ailleurs sorti pendant la guerre du Vietnam. C’est un manifeste, une plaidoirie contre la guerre et aussi pour l’euthanasie ou le suicide assisté. Le spectacle de la souffrance de ce jeune soldat est insoutenable. Il n’y a aucune scène de combat dans le film, on n’y voit pas de gueules cassées ni de visions horribles, et pourtant c’est un film insupportable. J’ai ressenti la même chose quand j’ai vu Salò ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, où là aussi le cinéaste te demande vraiment beaucoup. Le film de Trumbo possède une voix intérieure qui te fait ressentir ce que ce soldat a perdu, et ce qui lui reste. Je fais un parallèle entre Johnny s’en va-t-en guerre et Oh, uomo (2004) de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi sur lequel j’ai écrit un texte. Le film est magnifique, un essai poétique sur les gueules cassées où l’on voit à la fin la réparation du visage détruit d’un soldat, qui montre le terrible raffinement de la prothèse pour masquer l’horreur de la guerre.
Première diffusion le lundi 24 février à 22h30 sur ARTE.
As-tu pensé à ces films ou à d’autres qui traitent de la Première Guerre mondiale au moment de l’écriture et de la préparation de ton propre projet, La Peur ?
Non. Mon inspiration vient plutôt de la littérature, les livres que je viens d’évoquer, mais aussi « Casse-pipe » de Céline. Dans sa correspondance de guerre Fernand Léger parle d’un type qui est dans son escouade et qui a sorti la tête d’une tranchée pour regarder en face, a pris une balle dans la carotide et est mort. Le corps est ramené par les copains dont un qui est couvert du sang de son ami mort. Léger écrit : « comme le théâtre est faux et la littérature et tout le reste devant ce que nous a dit le gars Rougier, un carrier qui ne sait pas lire. » Je trouve ça admirable. Cela met la barre très haut car je ne pense pas que le cinéma ou la littérature soient capables de retranscrire exactement ce que des gars vivaient dans l’horreur quotidienne des tranchées. La poésie peut-être. Finalement je veux retrouver une vérité que le cinéma dans sa fonction fictionnelle ne peut pas forcément restituer. C’est là que réside la difficulté. D’ailleurs j’adapte un livre qui s’appelle « La Peur » et je pense que la peur est la base de cette guerre. Tout ce qui touche à l’imagerie ne m’intéresse pas, je veux au contraire me rapprocher de l’archive ou du témoignage.
Propos recueillis le 5 janvier 2014. Remerciements à Damien Odoul.
Les autres films du cycle sont : L’Adieu aux armes (A Farewell to Arms, 1932) de Frank Borzage, Capitaine Conan (1996) de Bertrand Tavernier, Un long dimanche de fiançailles (2004) de Jean-Pierre Jeunet, Les Fragments d’Antonin (2006) de Gabriel Le Bomin
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